VENISE / ITALIE
L’œil de Philippe Piguet a retenu cinq œuvres parmi les découvertes : trois installations, une vidéo et une série de peintures. Des œuvres engagées, presque des documents sur les malheurs du monde.
L'intérêt d’une manifestation comme la Biennale de Venise, c’est qu’il y a toujours des artistes à y découvrir. Quels que soient leur âge, leur origine ou leur mode d’expression. C’est le cas de Tony Conrad, un artiste américain, né en 1940, méconnu chez nous. Qualifiées de tableaux-films postminimalistes, ses peintures Yellow Movie datées de 1972-1973 sont réalisées sur un papier fragile avec un pigment blanc sensible à la lumière qui devient imperceptiblement jaune. S’il y allait au moment de leur réalisation d’une tentative de critiquer le concept de « film structurel », elles sont surtout une réflexion sur la notion même du temps à l’œuvre.
Dans le même pavillon, il conviendrait encore de s’arrêter sur l’installation-projection de l’Anglais Simon Starling, né en 1967. Intitulé Wilhelm Noack oHG, reprise du titre d’un film qui documente une entreprise éponyme berlinoise jadis liée à l’activité du Bauhaus, le film est constitué d’une succession d’images montrant les différents produits de l’entreprise en question. Il est déroulé non à partir d’une banale bobine, mais sur les éléments métalliques d’un escalier en colimaçon et qui devient l’objet plastique central de l’installation.
Pour rester dans cette qualité d’œuvre construite, on invitera le visiteur à se rendre à la Scuola della Misericordia pour y voir l’œuvre fascinante qu’a réalisée l’artiste lituanien Zilvinas Kempinas. Il y a imaginé une installation en forme de tube virtuel fait de la tension de bandes magnétiques dans lequel il nous propose de faire une expérience proprement phénoménologique qui mêle vision et mouvement. En écho à un passage de L’œil et l’esprit de Merleau-Ponty, Tube vise à nous faire prendre conscience que notre capacité de voir fait partie de notre capacité à nous mouvoir.
Le sang des Mexicains
D’un édifice à l’autre, le visiteur trouvera dans le quartier du Castello le Palazzo Rota-Ivancich qui abrite le pavillon mexicain. Il y verra flotter sur la façade un étrange drapeau, rouge de sang. C’est Teresa Margolles, née en 1963, qui l’y a planté après l’avoir teint du sang de victimes parmi les 5 000 morts survenues en 2008 lors d’affrontements entre entre les gangs et les forces de sécurité de son pays. Politique, l’œuvre de cette artiste prend une dimension impressionnante dans le cadre de ce palais vénitien qu’elle a vidé de son décor pour y faire place à des interventions d’une radicale économie de moyens. Ici, le lessivage quotidien du sol avec un mélange d’eau et de sang de ces victimes ; là, l’accrochage de tentures aux belles couleurs carmin pareillement confectionnées. L’effet est redoutable, et l’on n’en sort pas indemne.
Aussi, pour s’en remettre, le visiteur fera bien de retourner aux Giardini pour découvrir l’un des plus beaux films de la Biennale, Apology to Roadkill (2007-2009) de l’Australien Shaun Gladwell. Celui-ci montre un motard en combinaison de cuir se pencher sur les carcasses de kangourous tués au bord de la route. C’est magnifiquement filmé avec une rare tendresse et une émouvante lenteur.
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Découvertes : la chasse aux trésors
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : Découvertes : la chasse aux trésors - Le point de vue de Philippe Piguet