Au MUba de Tourcoing, le thème de la figure humaine permet une confrontation inédite entre les visages de Baselitz et les corps de Leroy.
TOURCOING - L’histoire est bien connue. En 1961, Baselitz visite Paris et assiste à l’exposition de Leroy chez Claude Bernard. Le choc, selon lui, est immédiat. Profondément impressionné par cette œuvre, le peintre contribue à la reconnaissance internationale de Leroy. Cette admiration réciproque qui se développe entre les deux artistes est le prétexte d’une rencontre étonnante, mise en scène à Tourcoing.
La confrontation est imposante. D’un côté, de taille monumentale, les autoportraits de Baselitz ainsi que des portraits représentant sa famille, concentrés sur la période 1995-1997. Défiant la lecture habituelle du tableau, les têtes sont à l’envers. On le sait, le motif inversé, cette figure stylistique, est devenue la marque personnelle de l’artiste allemand. Peut-être même ces faces gagnent-elles en visibilité à être présentées la tête en bas, à apparaître sens dessus dessous. Quoi qu’il en soit, ce sont les yeux qui semblent se détacher de l’ensemble du visage et fixer le spectateur. À la différence d’autres travaux de Baselitz, les œuvres ici ne sont pas fabriquées à partir des débordements d’une matière épaisse et accidentée et des empâtements brossés par de violents coups de pinceau. Évoquant les œuvres présentées, Baselitz parle de « peinture aussi mince que l’eau… le contour dessiné par-dessus ».
La fluidité face à la matière
De l’autre côté, les tableaux de Leroy sont enchâssés dans une masse de peinture, comme dans un bas-relief. Les variations se situent dans le degré de l’épaisseur du matériau choisi, dans les tonalités sombres ou lumineuses, dans la présence plus ou moins appuyée du contour qui laisse encore deviner un détail anatomique. De cette accumulation de traits et d’enchevêtrements de stries, tente de surgir une figure humaine ou son vestige. Ces faces semblent émerger du fond comme une confrontation entre l’informe et la forme en devenir, entre la ligne et la masse, comme un témoignage direct du processus de création. Ou encore de disparition ou de destruction…
Le malaxage aboutit à des figures de défiguration, indissociables de la matière qui les engloutit, aux formes naissantes qui renvoient à l’idée des origines, de l’archétype, du visage « primitif » dans sa forme matricielle. Leroy aurait pu reprendre l’affirmation de Masson : « Je ne suis pas en train de faire de la peinture, je suis dans la peinture. » Le parcours qui sépare les œuvres des deux artistes accentue le contraste entre leur traitement pictural. On pourrait prendre à la lettre la phrase introduisant ce face-à-face et qui affirme, non sans provocation : « L’exposition offre des œuvres que rien ne devait réunir ». Et pourtant, même si les tableaux ne se « parlent » pas, ces regards croisés, selon l’expression de la directrice de MUba, Evelyne-Dorothée Allemand, dégagent une remarquable puissance.
Jusqu’au 24 février, MUba-Eugène Leroy, 2 rue Paul Doumer, 59200 Tourcoing, tél 03 20 28 91 60, www.muba-tourcoing.fr, tlj sauf mardi 13h-18h.
Commissaire: Rainer Michael Mason
Nombre d’œuvres : 61 œuvres
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Baselitz-Leroy, un dialogue renversant
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Abonnez-vous dès 1 €Georg Baselitz, Meine gelbe Periode III [Ma période jaune III], 1997, Huile sur toile, 200 x 162 cm, Würth Museum © Georg Baselitz, 2013 Photo : DR
Eugène Leroy, Autoportrait, 1970, huile sur toile, 73 x 54 cm, MUba Eugène Leroy, Tourcoing Donation Eugène Jean et Jean-Jacques Leroy, 2009 © MUba Eugène Leroy, 2013 - Photo : Florian Kleinefenn
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Baselitz-Leroy, un dialogue renversant