Photographie

Barbara Crane, expérimentation et humanisme

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2024 - 711 mots

PARIS

L’Américaine est exposée à la galerie de photographies du Centre Pompidou après l’acquisition de trois ensembles datés des années 1970.

Barbara Crane (1928-2019), Private Views, 1980-1984 Polaroid Polacolor type 59, 10 x 13 cm. © Barbara B. Crane Trust © Centre Pompidou, Audrey Laurans
Barbara Crane (1928-2019), Private Views, 1980-1984 Polaroid Polacolor type 59, 10 x 13 cm.
© Barbara B. Crane Trust
© Centre Pompidou, Audrey Laurans

Paris. Depuis sa création en 2014, la galerie de photographies du Centre Pompidou est dévolue aux expositions monographiques ou thématiques valorisant les acquisitions récentes du Musée national d’art moderne (Mnam). Située au sous-sol du bâtiment, elle n’est pas sur le trajet des expositions du Centre et n’est pas toujours identifiée par le grand public, bien que son accès soit gratuit et que ses expositions soient généralement de très grande qualité. Celle consacrée actuellement à Barbara Crane (1928-2019) l’est tout particulièrement. Elle a été organisée à la faveur de l’entrée récente dans les collections du Mnam de trois ensembles issus de séries majeures de la photographe américaine : « Neon Series » (1969), « People of the North Portal » (1970-1971) et « Loop Series » (1976-1978).

Une entrée remarquée grâce à cette exposition relative aux vingt-cinq premières années de sa carrière, placée sous le commissariat de Julie Jones. L’intérêt porté à l’Institute of Design (Chicago) par la conservatrice du Cabinet de la photographie depuis son doctorat sur cette fameuse école dite « de Chicago » n’est pas étranger à cette mise en lumière.

« Initiée à la photographie par son père, Barbara Crane a découvert les innovations formelles et théoriques des avant-gardes européennes dès ses études en Californie au Mills Collège (Oakland) où enseigne Imogen Cunningham, relate Julie Jones. Durant ces années [1945-1948], elle lit les écrits de László Moholy-Nagy et de György Kepes, qui étaient tous deux enseignants à l’Institute of Design, fondé avant guerre par Moholy-Nagy, ancien professeur du Bauhaus. Ce n’est toutefois qu’après être revenue en 1964 à Chicago, sa ville natale, avec ses trois enfants et son mari […], que Barbara Crane a rejoint cette école pour suivre les cours de photographie d’Aaron Siskind. » Ajoutant : « Siskind, qui à la suite de Harry Callahan, encourage l’expérimentation comme méthode de travail au service de l’expression de la subjectivité, mais aussi d’une certaine forme d’humanisme. » Réalisés dans le cadre de son diplôme, l’ensemble des « Human Forms » (1964-1968), nus quasi abstraits de ses enfants, fait ainsi partie des premières recherches esthétiques de la photographe sur les formes, la lumière et les lignes graphiques. Si l’on y retrouve l’influence de Callahan et de Siskind, le contour des corps, réduit à une ligne pure, s’y distingue. Les tirages, réalisés par les soins de la photographe à l’instar des 90 % des tirages exposés, sont de toute beauté. Le perfectionnisme technique de Barbara Crane va de pair avec son besoin d’expérimenter constamment pour « suggérer de nouvelles manières de communiquer la sensation d’être dans le monde », pour reprendre les termes de John Rohbach cité dans le catalogue (éditions Atelier EXB).

Le documentaire et l’abstrait

Réalisée dans la foulée de « Human Forms », « Neon Series », superposition de motifs lumineux sur des portraits serrés d’individus sortant d’un grand magasin, illustre cette oscillation constante chez l’artiste entre abstraction et approche figurative. Ce que rend parfaitement lisible l’accrochage : le mur de gauche de la galerie est dévolu à des séries relevant davantage du registre du documentaire comme « People of the North Portal », composée de portraits de personnes entrant et sortant du Musée des sciences et de l’industrie de Chicago ; le mur de droite montre des séries plus abstraites telles que « Baxter Labs », association de négatifs démultipliés pour donner une image abstraite très graphique, ou encore « Repeats », variations rythmiques de négatifs, aux faux airs de représentation visuelle d’un son, ramenant à l’importance de la musique classique pour Barbara Crane.

Julie Jones a rapporté, des archives de l’Américaine, quelques ensembles jamais ou peu montrés en France telles ces photographies de plages de Chicago qui rappellent, dans une autre veine documentaire, celles d’Yasuhiro Ishimoto (1921-2012) actuellement exposé au BAL à Paris. Ishimoto, élève lui aussi de l’Institute of Design de Chicago, conseilla à Crane l’achat de son premier Nikon 35 mm lors de son séjour à Tokyo. Du BAL au Centre Pompidou, c’est une émancipation du regard née de cette école de Chicago qui se raconte, indissociable chez Barbara Crane d’une volonté de ne jamais se laisser enfermer dans un style. « On aura compris que Barbara n’est jamais en repos, physiquement, professionnellement mais aussi mentalement », rappelle dans le catalogue la galeriste Françoise Paviot, qui la représenta jusqu’à peu en France.

Barbara Crane,
jusqu’au 6 janvier 2025, Centre Pompidou, galerie de photographies, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Barbara Crane, expérimentation et humanisme

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