Photographie

Rétrospective

Le dialogue des formes d’Aaron Siskind

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 27 janvier 2015 - 762 mots

Dans une inédite démonstration consacrée au photographe américain, le Pavillon populaire de Montpellier rend hommage à son influence artistique depuis la photographie sociale à l’expressionnisme abstrait.

MONTPELLIER - Gilles Mora est un habitué du Center for Creative Photography. Ce centre de recherche et musée, créé à Tucson (Etats-Unis) en 1975 par Ansel Adams et John Schaefer, président de l’université d’Arizona, recueille les archives de photographes. Celles d’Ansel Adams, Wynn Bullock, Harry Callahan, Aaron Siskind et Frederick Sommer ont été les premières, rejointes depuis par d’autres fonds versés par les plus grands noms de la photographie nord-américaine ou leurs ayants droit, tels Edward Weston, Eugène Smith, Garry Winogrand, Richard Avedon ou plus récemment Todd Walker et Robert Heinecken. Sans équivalent au monde, Tucson abrite 239 fonds et accueille chercheurs, conservateurs, curateurs. Nombre d’expositions et de livres de Gilles Mora sont nés de ce travail d’explorations et d’études mené dans cette petite ville du désert du sud de l’Arizona, proche du Mexique. Au Pavillon populaire à Montpellier, « Eugène Smith Pittsburgh (1955-1958) » a donné à découvrir dans toutes les dimensions ce travail de titan au-delà de ses icônes, tout autant qu’une vision subjective, décalée, que refusa de publier en leur temps Life ou la presse en général. Aaron Siskind (1903-1991) n’échappe pas à l’appétence de l’historien de la photographie à remonter à la lumière les auteurs, les séries ou les aventures artistiques oubliés, négligés.

Coproduite par le Center for Creative Photography et réalisée en collaboration avec la Aaron Siskind Foundation de New York, cette rétrospective est la première en Europe. Gilles Mora regrette à cet égard qu’aucune institution française ou européenne n’ait voulu s’y associer, malgré la grande influence du photographe aux États-Unis dans les années 1950-1960. « Les musées cherchent des auteurs plus médiatisés », dit-il en évoquant l’exposition Garry Winogrand au Musée du Jeu de Paume et « la surévaluation de la street photography en France, alors qu’au même moment dans l’histoire de la photographie américaine, il existe une démarche expérimentale, une photographie subjective. »

Un théoricien d’avant-garde
L’autre raison de l’occultation de Siskind s’explique, selon Gilles Mora, « dans la perception que l’on a de son travail réduit à l’abstraction photographique et à sa réputation d’intellectualiste », comme dans l’incompréhension de son cheminement passé de la photographie documentaire (pratiquée et théorisée dans les années 1930) à un langage spécifique, qui revendique aussi bien les influences de l’avant-garde européenne de l’entre-deux-guerres (en particulier celles de László Moholy-Nagy) que les liens avec l’expressionnisme abstrait de ses amis Willem de Kooning, Franz Kline ou Adolph Gottlieb.

« La surface plane, c’est la réalité », déclare Siskind. C’est sur celle-ci que le photographe sans aucune manipulation construit son image et son langage propre. Et Gilles Mora de retracer chronologiquement son cheminement en apportant une nouvelle lecture de l’œuvre y compris dans la première partie consacrée à ses débuts marqués par son appartenance aux Workers Film and Photo League, puis au Feature Group qu’il fonde en 1936. Une période nourricière qui révèle déjà son goût pour l’enseignement et la théorisation – bien avant que Harry Callahan ne l’invite à rejoindre la faculté de l’Institute of technology à Chicago, où Siskind enseignera de 1951 à 1971 –, mais aussi celui pour les surfaces planes. Si ses photographies se concentrent sur la misère des New-Yorkais et si le Harlem Project, sur la situation des habitants de ce quartier, est son travail le plus connu, Gilles Mora montre que dès cette période s’éveille son intérêt pour l’architecture, les ornements et pour le dialogue des formes.

Du formalisme à l’abstraction métaphorique des objets (gant abandonné au sol) ou des éléments du réel (formes assemblées de rochers ou murs écaillés) se développe leur pouvoir d’évocation recherché, de révélation de soi et de son rapport au monde et à ses bouleversements. « Ce sont les prises de position même de l’expressionnisme abstrait que l’on retrouve chez Siskind, celles de Willem de Kooning ou de Franz Kline dans lesquelles le rôle de l’inconscient et celui des mythologies personnelles ou universelles sont inextricablement mélangés », note Gilles Mora, tout en rappelant que ce même groupe de peintres ne cachera jamais son peu d’intérêt pour  la photographie, loin de rivaliser à leurs yeux avec le geste pictural.

Aaron Siskind

Commissaire de l’exposition : Gilles Mora, directeur artistique du Pavillon populaire
Nombre de photographies : 215

Aaron Siskind, une autre réalité photographique, jusqu’au 22 février 2015, Pavillon populaire, esplanade Charles de Gaulle, 34000 Montpellier, mardi-dimanche 10h-13h, 14h-18h, entrée libre, www.montpellier.fr, catalogue « Aaron Siskind, une autre réalité photographique », éditions Hazan, 200 pages, 45 €.

Légende photo

Aaron Siskind, Jalapa 35 (Homage to Franz Kline), 1973, épreuve au gélatinobromure d’argent, 35,5 x 35,7 cm, Center for Creative Photography, University of Arizona, Aaron Siskind Archive. © Fondation Aaron Siskind. Courtesy galerie Silverstein Bruce

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Le dialogue des formes d’Aaron Siskind

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