La France, pays inventeur de la photographie, possède-t-elle une « école de photographie », comme on le dit de l’école américaine ou de celle de Düsseldorf ? Après les Rencontres d’Arles, la question reste posée. Tentative de réponse à travers la programmation de Paris Photo, du Mois de la photo et de Photo Saint-Germain.
Lors de la présentation du programme des dernières Rencontres d’Arles, qui ont célébré cet été les trois décennies de l’École nationale supérieure de la photographie (ENSP), l’idée lancée par leur président, Jean-Noël Jeanneney, d’un éventuel regard français, voire d’une « école française » dans ce domaine, a soulevé dans les salons d’apparat du ministère de la Culture un léger brouhaha de protestation et de gêne. Rumeur de désapprobation sourde causée tant par l’éventuel nationalisme que cette approche pouvait sous-entendre que par l’ambiguïté du terme « école française » qui, adossé à des photographes issus d’un même lieu d’enseignement et de formation, pouvait suggérer l’émergence d’un mouvement propre reconnaissable à sa facture, à l’instar de l’école de photographie de Düsseldorf, fondée en 1976 par Hilla et Bernd Becher, dont les élèves (Thomas Ruff, Thomas Struth, Andreas Gursky…) ont été les célèbres descendants de la photographie objective.
La visite à Arles des expositions d’anciens élèves de l’ENSP – mélange de noms référencés, comme Valérie Jouve, Bruno Serralongue et Grégoire Alexandre, et de talents émergents, tels Édouard Beau ou Dorothée Smith – ne laissa pas planer le doute : leurs travaux ne révélaient aucune éventuelle « façon française ». Au contraire, ils s’inscrivent dans différents courants, dans diverses sensibilités de la photographie, sans exprimer de spécificité attachée à un maître, à un protocole particulier ou à un manifeste. La programmation en cours du Mois de la photo, comme celle de Paris Photo, devrait faire apparaître la même tendance accentuée par la globalisation et la prédominance d’auteurs désormais diplômés d’écoles d’art, ou de photographie.
La résistance de l’histoire
Faut-il pour autant nier la nécessité de raisonner en termes d’école française ? « C’est une question compliquée », admet Clément Chéroux, conservateur pour la photographie au Centre Pompidou et actuellement co-commissaire avec Quentin Bajac de l’exposition « Voici Paris » consacrée à la collection de Christian Bouqueret, entrée l’an dernier dans le fonds du Centre et axée tout particulièrement sur la photographie française des années 1920-1930. « D’un côté, on en a besoin pour défendre des moments, des périodes où l’actualité photographique française fut particulièrement importante. Et, de l’autre, lorsque l’on essaie d’aborder des périodes historiques ou contemporaines à travers ce filtre d’identité française, on se rend compte que les faits historiques résistent toujours, reconnaît le conservateur. Si l’histoire du modernisme photographique s’est écrite assez simplement aux États-Unis, en Allemagne et en Union soviétique, il n’en est pas de même en France. À la différence fondamentale de New York, où les photographes qui ont compté dans l’histoire du modernisme sont américains, et de Moscou, où ils sont russes, à Paris, ceux qui ont le plus marqué sont, pour une bonne part d’entre eux, nés à l’extérieur des frontières, comme le montre la collection Bouqueret. Dans l’entre-deux-guerres, le cosmopolitisme de la capitale, véritable pôle d’aimantation pour toutes les forces vives de la création mondiale, a largement déterminé l’esthétique de son modernisme photographique. »
Autrement dit, pas de chef de file clairement identifié ni de lieu fédérateur ou de style emblématique ; mais « une série de cercles comme celui lié au groupe surréaliste ou à la photographie de presse ou encore au collectif Le Rectangle, association de photographes français constituée autour d’Emmanuel Sougez et de Daniel Masclet, non sans qu’il y ait des porosités entre eux ».
Un acte de naissance français
Idem pour la photographie du XIXe siècle, période où l’on ne peut pas dire, à l’exception du cercle de Gustave Le Gray, qu’il y « ait eu une école française de photographie bien que la France ait été l’un des deux pays, avec le Royaume-Uni, inventeurs de la photographie, et l’endroit où l’on trouvait une incomparable densité de grands photographes », constate Sylvie Aubenas, directrice du département des Estampes et de la Photographie à la Bibliothèque nationale de France, par ailleurs co-commissaire de l’exposition « La photographie en cent chefs-d’œuvre » qui se tiendra à la BnF du 13 novembre au 17 février 2013.
« Il existe des influences, des domaines, comme le portrait et le nu, où les Français ont été particulièrement bons, poursuit-elle. Avec Nadar, Carjat, Pierre Petit, Disdéri et Adam-Salomon, il y a eu ainsi un art du portrait que l’on ne retrouve pas ailleurs durant le Second Empire. » Mais toujours pas d’école, ni de cercle. Seul le cercle de Gustave Le Gray fait effectivement exception durant ces années 1850-1860, comme en témoigne l’exposition « Modernisme ou modernité, les photographes du cercle de Gustave Le Gray » en cours au Petit Palais à Paris.
« Dans son atelier de la barrière de Clichy, Le Gray a inventé, perfectionné des techniques, enseigné et diffusé ses connaissances à une cinquantaine de personnes, créant ainsi une galaxie rassemblant aussi des photographes comme Charles Nègre, Henri Le Secq, Alphonse Delaunay, André Garban et Adrien Tournachon, aux œuvres autonomes mais à l’esthétique partagée », explique Anne de Mondenard, co-commissaire de cette exposition avec Marc Pagneux. « La prédilection de ces primitifs pour une géométrie bien tempérée, pour un traitement du sujet minimum, pour le refus de l’anecdote, du pittoresque, pour le choix de points de vue inédits, au ras du sol ou en plongée, pour leur maîtrise des formats ambitieux et des tirages irréprochables est la conscience d’un art neuf, sans passé, moderne », écrivent-ils dans le catalogue de l’exposition édité chez Actes Sud.
Des affinités de groupe
Par capillarité, des photographes ont été également rassemblés quelques décennies plus tard par les historiens. Tels Izis, Édouard Boubat, Robert Doisneau, Willy Ronis, regroupés sous l’appellation photographes humanistes. Par démarche volontaire aussi, comme celle de l’historien et critique de la photographie Gilles Mora et du photographe-éditeur Claude Nori, auteurs en 1983 d’un manifeste photobiographique portant l’idée que la photographie représente des caractéristiques narratives, littéraires et autobiographiques qu’incarnent Bernard Plossu et Denis Roche, aux images puisant leurs références dans le cinéma, la littérature et la peinture. « Cette veine autobiographique, des auteurs comme Hervé Guibert, et aujourd’hui Jean-François Spricigo ou Anne-Lise Broyer, la poursuivent », note Anne Biroleau, conservatrice en chef au département des Estampes, chargée de la photographie contemporaine à la BnF.
« Dans les années 1970-1980 s’est en effet développée en France une spécificité marquée non seulement par cette photographie littéraire, mais aussi par une photographie de reportage avec la création à Paris des agences Gamma, Sygma et Sipa », raconte Gilles Mora, co-commissaire avec Alain Sayag de l’exposition « Photographie en France », à la Maison européenne de la photographie, qui revient en partie sur cette histoire. « Gilles Caron et Raymond Depardon, en créant Gamma, ont été les catalyseurs de ce regard empreint d’une véritable conscience sociale et totalement étranger aux photographes humanistes et à la géométrie parfaite d’Henri Cartier-Bresson. » Henri Cartier-Bresson qui a pourtant fait école durant ces années-là et bien après, à l’instar d’Atget qui influença après sa mort les œuvres de Walker Evans, Bill Brandt, Lee Friedlander comme celle des Becher, de Dieter Appelt ou de Bruno Réquillart. Cependant, « Henri Cartier-Bresson a toujours refusé d’enseigner, d’avoir des élèves et d’être rangé dans la photographie humaniste, précise Agnès Sire, directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson. Il était antiécole, antiformation et a régulièrement rejeté pour ses photographies le terme d’instant décisif ».
ll reste que dans l’histoire de la photographie, se distinguent des leaders, des marqueurs, comme lui, qui ont renouvelé le genre du reportage et de la photographie d’auteur. D’autres, aujourd’hui, tels Stéphane Duroy, Sarah Moon, Corinne Mercadier, Richard Dumas, pour ne citer qu’eux, frappent par leur approche, leur voix singulière. L’histoire ne dit simplement pas encore à quelle galaxie ils appartiennent, car au-delà des individualités fortes propres à chacun, des filiations se revendiquent, se construisent.
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Existe-t-il une « École française » de photographie ?
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Ouverture exceptionnelle des lieux les dimanches 11 et 18 novembre 2012 de 15 à 19 heures, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés. www.photo-saintgermaindespres.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°651 du 1 novembre 2012, avec le titre suivant : Existe-t-il une « Ecole française » de photographie ?