Le Pavillon populaire, à Montpellier, revient sur une période faste de la photographie en France. Une histoire qui a fait entrer le médium dans la sphère artistique.
Montpellier. Les années 1970-1980 ont été charnières pour la photographie en France. L’effervescence artistique, intellectuelle et politique qui marque cette période s’exprime tant dans la création de lieux, de festivals ou de collectifs que dans la commande publique. Paris est alors réputé pour ses trois agences photos de presse (Gamma, Sygma et Sipa) et la reconnaissance de la photographie comme un art se confirme à partir de l’arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture. Toutefois, nous n’avons qu’une vision parcellaire des créations de ces années, le plus souvent réparties par thème ou par genre : photographie de presse, documentaire, artistique ou plasticienne.
Le bilan dressé en 1989 par Gilles Mora dans l’exposition « 20 ans de photographie créative en France 1968-1988 » au Centre culturel de la firme Bayer à Leverkusen, en Allemagne, puis à la galerie du Château d’eau à Toulouse, paraît bien loin. Aujourd’hui, directeur artistique du Pavillon populaire, Gilles Mora revient sur ces années en prenant soin de confier à d’autres ce réexamen : « Je n’ai pas assez de recul sur cette période charnière qui fut d’une grande violence », dit-il. Il a donc fait appel à Michel Poivert, professeur d’histoire de l’art à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, et Anna Grumbach, jeune historienne de l’art, spécialiste de photographie.
Si Michel Poivert a connu partiellement ces années, Anna Grumbach absolument pas. C’est donc avec un regard relativement « vierge » de toutes les querelles et divisions profondes de cette époque qu’ils ont construit ce panorama. Cette approche leur permet surtout de montrer la diversité des écritures esthétiques et formelles qui émergent et se développent alors. Pas moins de deux cent quarante œuvres – émanant d’une quarantaine de prêteurs – et soixante-dix photographes sont réunis ici : Alain Dister, Dolorès Marat, Marie-Paul Nègre, Patrick Tosani, Raymond Depardon, Alain Bublex, Bettina Rheims ou Bernard Faucon. Le résultat offre une exposition d’envergure qui pose les premiers jalons d’une lecture analytique et donne à une scène photo française une visibilité qui lui fait cruellement défaut dans les grandes institutions parisiennes.
La section « Corps en liberté » remet ainsi en lumière des travaux d’Yves Trémorin et Florence Chevallier (et leur groupe « Noir Limite » créé avec Jean-Claude Bélégou) et ceux de Gladys ; les autoportraits d’Hervé Guibert dialoguent avec les portraits de bustes d’empereurs romains des « Vies parallèles » de Patrick Faigenbaum et avec ceux de jeunes gens au visage cadré très serré, le regard comme absorbé, de Suzanne Lafont. L’ensemble placé sous le regard d’une madone d’Orlan en majesté.
La section consacrée au « quotidien » opère d’autres rapprochements d’œuvres, telles que celles de Bruno Réquillart et de Claude Batho ou entre celles de François Hers, Florence Paradeis et Jean-Louis Garnell. Ailleurs, la juxtaposition de la Tulipe noire de Denis Brihat et du Cyprès de Jean-Marc Bustamante rappelle ce que l’enseignement du premier apporta au second.
Cette exposition suscite plusieurs niveaux de lecture. Elle fera probablement réagir le milieu de la photo par ses choix et ses rapprochements. Il manque certes des noms comme Jane Evelyn Atwood ou Jean-Claude Gautrand et un récapitulatif des agences, collectifs et lieux importants tels que les Rencontres d’Arles ou le Centre national de la photographie – que la refonte du Jeu de paume absorbera – créés à cette époque. On peut s’interroger aussi sur le choix des événements de mai et juin 1968 comme marqueur de la métamorphose de la photographie en France. Mais les auteurs et les œuvres retenus montrent la vitalité, l’audace, le souffle et la grande créativité de ces deux décennies. Cette exposition n’est que le début d’un récit que ses auteurs espèrent bien développer ailleurs.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : 1968-1989, le souffle nouveau de la photographie française