PARIS
Paris. Après avoir fait étape à Florence puis Bologne, le cabinet des dessins Jean-Bonna des Beaux-Arts de Paris s’arrête dans la Rome baroque.
Véritable centre de gravité créatif à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, Rome est alors le conservatoire des références antiques et renaissantes, l’épicentre de la contre-réforme à l’initiative de l’Église catholique, mais aussi le lieu d’expérimentations artistiques laissant libre cours à l’expressivité des figures et à l’exagération du mouvement.
Trente-cinq dessins témoignent de ce foisonnement plastique, entre liberté du trait, références « michelangelesques » et piété religieuse. Si les grands artistes présentés ici (Salvator Rosa, Cavalier d’Arpin, Pierre de Cortone, Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin) ont tous en commun la recherche du mouvement et de l’illusion de vivacité, les moyens pour y parvenir sont bien différents d’une feuille à l’autre.
Incontournable de l’exposition, Saint Georges terrassant le dragon de Salvator Rosa représente tout ce que l’on pourrait attendre d’un dessin baroque. Traitée en lavis brun, la scène se devine dans un jeu d’ombres et de lumières rehaussé par un trait de plume libre et expressionniste, amplifiant le mouvement dramatique de la mise à mort du monstre. Cette démonstration de volume et de dramaturgie contraste avec l’économie de moyens mis en œuvre par Pier Francesco Mola – élève du Cavalier d’Arpin – dans son Vénus et Adonis, étude pour le décor du palais Pamphilj de Valmontone : ici, quelques traits suffisent pour suggérer la fuite d’Adonis dans un paysage à peine esquissé.
Avec Giovanni Baglione, c’est une technique très fine de rehauts blancs en résille qui donne l’illusion du volume des corps, dans une étude pour Suzanne au bain. Plus achevée encore, l’étude pour une fresque représentant Callioppe et Melpomène de Ciro Ferri – héritier de Pierre de Cortone – tranche dans sa précision avec les autres feuilles de l’exposition, à l’écriture plus libre. Utilisant la gouache blanche et le lavis brun pour détailler avec exactitude le projet pictural, il ne manque plus qu’à ce dessin d’être mis au carreau et reproduit sur le pendentif architectural pour lequel il a été conçu. Au contraire, Giovanno Francesco Grimaldi n’utilise que son trait de plume pour réaliser deux superbes paysages du Latium romain, démontrant l’autonomie naissante du dessin.
Le parcours s’étend de la fin du maniérisme, avec les références à l’antique et à Michel-Ange d’un Cavalier d’Arpin, jusqu’à l’aube du XVIIIe siècle, avec Giuseppe Passeri et ses feuilles où sanguine et gouache blanche laissent entrevoir par contraste des visions religieuses exaltées. Malgré la diversité des techniques et des vocabulaires graphiques que l’on découvre dans ce parcours, en ressort une cohérence qui pourrait prendre le nom de « souffle baroque », mais que l’on pourrait aussi définir comme le goût pour la dramaturgie.
Constituée uniquement de dons, la collection du cabinet Jean-Bonna parvient à donner un éclairage quasi représentatif de cette production. Quasi, car manque à l’appel le plus grand des peintres baroques : cette lacune ne pourra toutefois jamais être réparée, Caravage n’ayant pas laissé de dessins…
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Aux Beaux-Arts, le baroque trait pour trait