1 - Plume, encre brune
Chaque année, le Salon du dessin apporte son lot de découvertes. C’est le cas, ici, avec cette feuille inédite de Francesco Barbieri, dit Le Guerchin (1591-1666). Proposée par Antoine Tarantino, marchand et expert parisien, elle est préparatoire à la figure de Dalila complotant avec les Philistins pour déposséder Samson de sa force, sujet du tableau conservé au Musée des beaux-arts de Strasbourg. Celui-ci fut peint en 1654 pour le duc de Mantoue afin de servir de pendant au Loth et ses filles, aujourd’hui au Louvre. Formé à Bologne, à l’école des Carrache, Le Guerchin fut un prolifique dessinateur maniant la plume avec ardeur. Elle virevolte dans la chevelure, glisse et s’étire sur la draperie transparente, se raccourcit et s’épaissit pour accentuer les ombres. L’encre, jadis noire, a bruni sous l’action conjuguée de l’air et de la lumière. Cette oxydation trahit l’usage d’une encre ferrogallique, mélange de tanins issus de la noix de galle, de sels métalliques et de gomme arabique.
2 - Sanguine
La sanguine est un pigment minéral contenu dans l’hématite, roche qui tire sa couleur rouge sang de l’oxyde de fer qu’elle contient. Taillée, elle est utilisable comme une craie. La technique est adoptée à la Renaissance par Raphaël et Michel-Ange. Suivant leur exemple, Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin (1568-1640), auteur de cette admirable académie présentée par la galerie Marty de Cambiaire (Paris), utilise la couleur naturelle de la sanguine pour représenter les carnations. L’artiste passe à la pierre noire pour dessiner ce qui n’est pas de chair, ménageant ainsi de beaux contrastes. Le puissant modelé du corps est rendu par des hachures plus ou moins serrées, selon le volume et la tension des muscles. Cette technique, proche de la gravure, anime la surface du dessin en distribuant les ombres et les lumières. Celles-ci participent d’une recherche de réalisme inhabituel chez l’artiste, qui dénote d’un naturalisme plus proche de Rubens que du Caravage.
3 - Graphite
Ce que l’on nomme communément « mine de plomb » est, en réalité, du graphite, une variété de carbone cristallisé dont la couleur varie, selon la provenance, du noir au gris acier. Il se caractérise par un léger reflet métallique qui permet de le distinguer de la pierre noire. Comme le montre ce Christ bénissant de Fra Bartolomeo (1472-1517), le graphite permet un trait précis et peut être aussi estompé, au doigt ou au chiffon, pour modeler les ombres. Notre dessin, exécuté sur un papier lavé rouge, est préparatoire à un tableau d’autel, commandé en 1516, pour une chapelle de l’église de la Santissima Annunziata de Florence. Il est l’un des fleurons de la collection du duc d’Aumale conservée au château de Chantilly. Celle-ci fait actuellement l’objet d’une mise en valeur exceptionnelle grâce à l’aménagement d’un cabinet d’art graphique, inauguré le 24 mars 2017. Un florilège d’une quarantaine de dessins de la Renaissance, point fort de la collection, est exposé pour saluer l’arrivée de ce nouvel équipement.
4 - Huile sur papier
À la Fondation Custodia, « Du dessin au tableau au siècle de Rembrandt » est l’une des meilleures expositions du moment. Particulièrement didactique, elle confronte les tableaux avec leurs dessins préparatoires quand ils existent. C’est le cas des « joyeuses compagnies » de Dirck Hals (1591-1656) ou scènes de tabagie, qui connurent un tel succès que le peintre a dû élaborer une technique préparatoire rapide et efficace. Pour cela, il esquisse directement à l’huile les personnages principaux, tel que l’Homme assis sur une chaise, visible à gauche du tableau conservé à Berlin. Or la même figure réapparaît, avec variantes, dans d’autres compositions, preuve que l’esquisse est utilisée par le peintre comme un poncif. L’attention portée aux détails vestimentaires, malgré la rapidité de la technique, plaide pour une étude d’après le modèle vivant exécutée en atelier. Le choix de cette méthode inhabituelle, à mi-chemin entre le dessin et la peinture, réalisait l’objectif de l’artiste d’intégrer la figure dans le tableau en passant par le moins d’étapes possible.
5 - Pinceau, lavis d’encre
Adepte de la sanguine et des trois crayons, Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) utilise aussi des techniques plus picturales, comme le lavis d’encre. La Marchande de marrons est un magnifique exemple de cette technique au pinceau qui consiste à diluer l’encre dans l’eau afin d’obtenir des effets de transparence et de lumière, proches de l’aquarelle. Utilisée pure, l’encre noire au carbone, couramment appelée « encre de Chine », est d’un noir intense. Diluée au lavis, elle offre toutes les nuances de gris complétées, ici, par un peu d’encre brune dont la teinte varie selon la nature des bois brûlés qui la composent. Une « grisaille » de même sujet fut exposée par Greuze au Salon de 1761. Elle fut commentée par Diderot qui loua « la grande variété d’actions, de physionomies et de caractères dans tous ces petits fripons dont les uns occupent cette pauvre Marchande de marrons, tandis que les autres la volent ». L’observation colle à merveille à notre version appartenant à la mythique collection Horvitz dont une admirable sélection de chefs-d’œuvre est actuellement exposée au Petit Palais, à Paris.
6 - Pastel
Parmi les inédits du Salon du dessin, citons cet intense pastel de Carlos Schwabe (1866-1926). L’artiste d’origine allemande, naturalisé suisse, s’installe définitivement en France en 1884. À l’aise dans toutes les techniques du dessin, il s’est d’abord fait remarquer pour la perfection de son trait de plume comparé, en son temps, à celui de Dürer et de Schongauer. Son talent est plébiscité par les éditeurs parisiens qui lui demandent d’illustrer nombre de textes de Mallarmé, Baudelaire ou Maeterlinck. En marge de cette féconde activité, il s’adonne, après 1900, à une pratique plus intime, le portrait. Celui de sa fille Maria, dite Yaya, est une découverte de la galerie Mathieu Néouze (Paris). Le potentiel chromatique du pastel est utilisé à son paroxysme. La palette réduite concourt à l’étrangeté du portrait. En effet, celle-ci se résume à un camaïeu orangé dont l’unité est brutalement rompue par l’œil bleu qui nous regarde. Son intensité, au-delà du réel, communique en nous une troublante et non moins fascinante impression.
7 - Aquarelle
Parmi les techniques d’eau, la plus populaire est sans doute l’aquarelle. Au XVIe siècle, Albrecht Dürer fut l’un des premiers à s’en saisir pour exploiter ses qualités de transparence. Elle est souvent appliquée sur un papier très blanc afin que le support augmente sa luminosité. On peut obtenir avec l’aquarelle les effets les plus rares et aléatoires, comme ces irisations qui colonisent les couleurs de Franck Lundangi, présent sur le salon Drawing Now grâce à la galerie Anne de Villepoix (Paris). Né en Angola en 1958, il fuit la guerre pour le Zaïre où il devient footballeur professionnel. Arrivé en France à 35 ans, il troque les crampons pour les pinceaux. Le succès devient international quand, en 2004, il est invité à l’exposition « Africa-Remix » qui passe par Paris (Centre Pompidou), Düsseldorf, New York, Londres, Tokyo… Depuis, Franck Lundangi ne cesse de dessiner une Afrique imaginaire, issue de ses songes. Il confesse être « à la recherche d’une harmonie entre l’esprit, l’homme et la nature », une trilogie parfaitement illustrée avec le dessin reproduit.
8 - Craie blanche
Cherchez bien dans les allées du salon DDessin, les adeptes de la craie ne sont pas légion. La technique est boudée, sauf sur le stand de la galerie L’Hoste (Arles) qui expose Muriel Toulemonde, artiste née en 1970, qui a choisi le carbonate de calcium comme médium principal. Une pratique qu’elle exerce au quotidien en parallèle à son œuvre filmique et photographique. Tableau noir est issue d’une série réalisée sur des fonds de papier colorés pour studio photo. Un support inhabituel choisi par l’artiste pour sa texture (suffisamment rugueuse pour arracher à la craie blanche son pigment poudreux) et pour son format (150 x 135 cm), correspondant à l’envergure de ses bras. Cette dernière caractéristique permet à l’artiste de dessiner des deux mains et de tracer, simultanément, deux lignes continues, sans volonté de représentation préalable. De cette synchronisation, naît une symétrie imparfaite d’où émergent de multiples formes que chacun reconnaîtra à sa guise, ce qui en fait sa poésie singulière.
9 - Encre noire, ballon, épingles
Fidèle au rendez-vous, la galerie Papillon (Paris) expose à Drawing Now sa dernière recrue : Céline Cléron, née en 1976, dont l’approche personnelle du dessin démontre la capacité du médium à se réinventer. Sa technique est singulière puisqu’elle dessine à l’encre noire sur des ballons gonflés d’air. L’artiste décoche ensuite une épingle pour commettre l’irréparable ! Le dessin éclaté, quand il en réchappe, nous parvient rétréci. Il apparaît alors étonnamment précis, comme une miniature, ce qu’il n’était pas à l’origine, bien entendu. De cet accident, qui provoque une violente rupture d’échelle aux résultats graphiques incertains, Céline Cléron tire une énergie jubilatoire et communicative qu’elle exprime par son goût immodéré des glissements visuels et sémantiques. Drôle et piquant à la fois, cet escrimeur-entomologiste fait mouche, tout comme ses corollaires de la série Seules les pyramides ne fondent pas au soleil, commencée en 2016.
Le 11 décembre 2016, le New York Times était le premier média à révéler la découverte, en France, d’un dessin inédit de Léonard de Vinci (1452-1519) représentant le martyr de saint Sébastien. Au niveau des jambes, les nombreux repentirs sont bien visibles grâce aux deux teintes d’encre brune utilisées par l’artiste milanais. Elles recouvrent partiellement une première mise en place au crayon noir, légèrement estompé par endroits. Estimé 15 millions d’euros par la SVV Tajan, assistée du cabinet de Bayser, le dessin (19,3x13 cm), classé trésor national, devrait être mis en vente aux enchères en juin 2017, à Paris.
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9 clés pour comprendre les techniques du dessin
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Abonnez-vous dès 1 €« 26e Salon du dessin » , du 22 au 27 mars 2017 au Palais Brongniart, 28, place de la Bourse, Paris-2e. Ouvert tous les jours de 12 h à 20 h. Nocturne le jeudi 23 mars jusqu’à 22h. Tarifs : 18 et 20 €. Présidé par Louis Bayser. www.salondudessin.com
« Du dessin au tableau au siècle de Rembrandt » , du 4 février au 7 mai 2017, Fondation Custodia, 121 rue de Lille, Paris-7e. Ouvert de 12h à 18h. Fermé le lundi. Tarifs : 10 et 7€. Commissariat: Ger Luijten, Peter Schatborn et Arthur K. Wheelock. www.fondationcustodia.fr
Exposition inaugurale du cabinet d’arts graphiques : « Bellini, Michel-Ange, Le Parmesan. L’épanouissement de la Renaissance » , du 21 mars au 20 août 2017, Musée Condé, 7 rue du Connétable, Chantilly (60). Ouvert du 25 mars au 1er novembre de 10 h-20 h. Tarifs : 17 et 10 €. www.musee-conde.fr
« De Watteau à David. La Collection Horvitz » , du 21 mars au 9 juillet 2017, Petit Palais, avenue Winston Churchill, Paris 8e. Ouvert de 10h à 18h. Fermé le lundi. Tarifs : 10 et 7€. Commissariat : Alvin L. Clark, Jr et Christophe Leribault. www.petitpalais.paris.fr
« Drawing Now. Le salon du dessin contemporain » , du 23 au 26 mars 2017 au Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, Paris 3e. Ouvert de 11h à 20h. Tarifs : 16 et 9€. www.drawingnowparis.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°699 du 1 mars 2017, avec le titre suivant : 9 clés pour comprendre les techniques du dessin