Taïwan - Biennale

ART CONTEMPORAIN

13e Biennale de Taipei : le monde vu de Taïwan

TAIPEI / TAÏWAN

Alors que Lai Ching-te, candidat le plus éloigné des positions de Pékin, a remporté la dernière élection présidentielle, la 13e Biennale taïwanaise compose avec sa propre histoire et les turbulences du monde.

Taipei (Taïwan). Rassemblant une soixantaine d’artistes venus d’une vingtaine de pays, la 13e Biennale de Taipei a été conçue par trois jeunes commissaires internationaux : Freya Chou (Hongkong, Taipei), Reem Shadid (Sharjah, Beyrouth), et Brian Kuan Wood (Le Caire, New York). Ouverte jusqu’au 24 mars prochain, la Biennale intitulée « Small World » succède à « Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète », l’édition de 2020 que le philosophe Bruno Latour et le commissaire indépendant Martin Guinard avaient co-dirigée.

Taïwan et le prisme de l’art

La série documentaire du photojournaliste taïwanais Hsu Tsun-Hsu (né en 1959) attire l’attention au début du parcours. Dans cette série intitulée The More We Get Together, les photographies intègrent événements politiques majeurs et scènes de la vie quotidienne à Taïwan de 1988 à 1998, tout au long de la décennie qui a suivi la levée de la loi martiale en place à partir de 1949. Cette évocation rend également compte de l’histoire de la Biennale qui a accompagné la transition démocratique de l’île. Manifestation lancée en 1998 dans sa configuration actuelle, ses origines remontent aux années 1980 à la suite de l’inauguration du Taipei Fine Art Museum (TFAM) en 1983, lieu unique où chaque Biennale est organisée. Des expositions d’art contemporain bisannuelles s’y sont tenues pendant une quinzaine d’années avant de se muer en Biennale internationale.

Pilgrim in the Microworld (2023) de l’artiste hongkongais Nadim Abbas (né en 1980) offre une approche métaphorique des enjeux géopolitiques de l’île. Cette installation prend la forme d’un circuit intégré monumental, en référence aux semi-conducteurs dont Taïwan est le producteur numéro 1 mondial. Sur l’un des murs bordant l’installation, on découvre une sélection de photographies en noir et blanc de Paul Virilio (1932-2018), issue de sa série « Bunker Archéologie (1958-1965) » sur des fortifications militaires construites par les nazis, ajoutant une sombre référence historique au caractère dystopique de l’ensemble. Symbole de l’ascendant économique et technologique de l’île, l’œuvre semble rappeler que la lutte pour le contrôle de ces semi-conducteurs peut aussi constituer une menace pour la paix.

D’autres enjeux géopolitiques émergent dans Laji No. 97 (2023), installation du Philippin Pio Abad (né en 1983). Elle met en évidence la proximité ethnoculturelle entre les autochtones de l’île de Lanyu, au sud de Taïwan, et ceux des îles Batanes. Or la frontière maritime qui sépare l’île taïwanaise de l’archipel philippin se situe sur la « ligne en neuf traits » que Pékin utilise pour revendiquer sa souveraineté en mer de Chine méridionale. Concernant la visibilité des cultures aborigènes, rappelons qu’elle est devenue un faire-valoir de l’insularité taïwanaise par rapport à la Chine continentale. La première Triennale internationale d’art austronésien a d’ailleurs été inaugurée dans la ville de Pingtung, au sud de Taïwan, un mois avant l’ouverture de la Biennale de Taipei.

Des toilettes ouvertes sur les salles

Cette dimension internationale s’étend au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord avec un nombre notable de participants de la région. Les artistes d’origine libanaise sont particulièrement bien représentés avec Lara Tabet, Nesrine Khodr, Raed Yassin. Ce dernier (né en 1979) expose China (2012), une collection de sept vases en porcelaine chinoise bleu-blanc de 2012. Créés dans la ville chinoise de Jingdezhen, réputée mondialement pour sa production, ces vases représentent les affrontements de la guerre du Liban de 1975 à 1990. Lara Tabet (née en 1980) évoque également le Liban à travers une série de photographies sur les ressources naturelles du pays, intégrant ses recherches scientifiques et artistiques sur le sujet. Les artistes d’Afrique du Nord sont également présents, comme le Franco-Algérien Massinissa Selmani (né en 1980), l’un des sélectionnés du prix Marcel Duchamp en 2023, et l’Égyptien Basim Magdy (né en 1977). Tous deux explorent la violence les conflits passés et présents.

D’une manière plus symbolique, on note la présence de murs ou cloisons dans plusieurs installations monumentales, comme celle de l’Américaine Jacqueline Kiyomi Gork (Not Exactly (Whatever the New Key Is), 2023), ou du Chinois Wang Wei (Mirror, 2023). Dans un geste plus subversif, l’artiste taïwanais Lai Chih-Sheng (né en 1971) a choisi de supprimer l’une des cloisons du site séparant les toilettes des galeries du musée, ouvrant ainsi l’espace muséal sur ce lieu normalement caché. Intitulée 2B205 (2023), cette création in situ est animée par le flux d’air produit par une trentaine de ventilateurs fixés en face des WC.

Une Biennale prudente face aux enjeux politiques

La Biennale aborde des sujets engagés dans le monde contemporain, mais rarement de manière frontale. Cette précaution est peut-être à mettre sur le compte de l’écosystème politico-culturel dans lequel elle évolue. Freya Chou, qui avait collaboré aux 6e et 7e éditions en 2008 et 2010, précise qu’il s’agit d’une « biennale citadine » qui ne s’intéresse pas aux « représentations nationales ». Ce positionnement éditorial tend à s’aligner sur la structure administrative de la manifestation qui dépend de la Ville de Taipei, tout comme le Taipei Fine Arts Museum. Cette précision revêt une importance particulière compte tenu du profil de Chiang Wan-an, maire de la ville élu en 2022. Membre du Kuomintang (KMT), principal parti d’opposition au président élu, il est également l’arrière-petit-fils de Chiang Kaï-shek, le général qui a gouverné Taïwan d’une main de fer jusqu’en 1975. Par ailleurs, Ko Wen-je, le troisième candidat à l’élection présidentielle, fut lui-même maire de Taipei de 2014 à 2022. Compte tenu du contexte pré-électoral d’un scrutin tendu et à très forts enjeux, la Biennale a probablement souhaité éviter tout risque de réappropriation politique.

13e Biennale de Taipei,
jusqu’au 24 mars, www.taipeibiennial.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : 13e Biennale de Taipei : le monde vu de Taïwan

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