En 2012, je découvrais au Lieu unique à Nantes «Â La belle peinture est derrière nous », exposition itinérante, orchestrée par la galeriste parisienne Eva Hober, qui avait vu le jour en 2010 à Istanbul.
J’étais ravie d’y voir réunis – chose rare – une vingtaine d’artistes issus de ma génération dont j’appréciais le travail (Ronan Barrot, Romain Bernini, Katia Bourdarel, Damien Cadio, Damien Deroubaix, Cristine Guinamand, Marlène Mocquet, Stéphane Pencréac’h, Axel Pahlavi, Lionel Sabatté, Jérôme Zonder, Gaël Davrinche via P. Nicolas Ledoux...) et de découvrir aussi des artistes plus jeunes (Maël Nozahic, Guillaume Bresson…) qui partageaient un même goût pour la figuration, peinture et dessin mêlés.
« La belle peinture est derrière nous ! », titre ironique bien sûr, adressé à tous ceux qui, en France, continuaient de penser que la création figurative était affaire de passé et n’était plus aujourd’hui qu’une pratique exsangue ou ringarde. Un coup d’œil à l’exposition suffisait à montrer la pertinence et la vivacité des œuvres présentées. Au-delà des singularités et des « familles », je décelais une certaine exigence vis-à-vis du métier et du travail à l’atelier, un regard aiguisé sur la tradition comme moyen de renouvellement (non d’aliénation), une volonté d’ouvrir la peinture à mille référents (incroyable impact produit par l’accessibilité d’images issues de champs culturels divers, populaire, érudit, artistique, mystique…). Je percevais de l’ensemble une sorte d’esthétique de l’hybridation et de l’ambivalence, du fragment et de la suture. Une esthétique qui faisait écho à la violente tension du monde moderne et à la complexité de l’individu, déchiré entre beauté et laideur, humour et cruauté, croyance et désillusion.
Aujourd’hui, je mesure le parcours de ces artistes. Certains ont trouvé relais et visibilité, dans la presse et l’institution, mais d’autres n’ont encore qu’une reconnaissance mitigée : une visibilité partielle et une présence encore modeste dans les collections publiques, ce qui les mène parfois à quitter la France ou à s’unir en collectifs. Bien que l’on remarque une évolution favorable, sans doute réside-t-il encore en France les traces d’une posture idéologique de la réserve quant à la réception de la peinture figurative : même si cette posture, depuis les critiques ouvertement affichées du « retour » des années 1980, est actuellement plus ambiguë ou refoulée.
Si l’on considère les lieux phares, vitrines officielles de l’art contemporain, aucun rassemblement d’envergure n’a à ce jour permis de vraiment questionner cette génération. Sans doute est-il temps de repenser cette question, en affinant les partis pris, en élargissant les perspectives, en comblant les manques aussi, car d’autres figures essentielles de cette génération n’étaient pas présentes dans la « belle peinture ». Une histoire reste à écrire… C’est à nous, critiques de cette génération, d’assumer pour cela un regard décomplexé et de produire une pensée qui permette d’embrasser ce territoire de la création contemporaine. La peinture est bel et bien devant nous. Elle nous regarde, attire, repousse, interroge. Elle n’en finit pas de renaître sous nos yeux.
Amélie Adamo, née en 1978, est historienne et critique d’art, essayiste et commissaire d’exposition. Elle est spécialiste des questions de transmission, de temps et de mémoire, d’hybridation et citation, dans la peinture contemporaine. Sa thèse, Une histoire de la peinture des années 1980 en France, a été publiée en 2010 aux éditions Klincksieck.
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2012 : L’exposition, à Nantes, « La belle peinture est derrière nous ! »
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : 2012 : L’exposition, à Nantes, « La belle peinture est derrière nous ! »