Art contemporain

1979 : Les Jus de Gérard Gasiorowski

En France, quel fait artistique marquant (exposition, artiste, œuvre…) retenez-vous depuis 1955 ?

Par Frédéric Bonnet · L'ŒIL

Le 16 mars 2017 - 390 mots

« Là où ça sent la merde, ça sent l’être », affirmait Antonin Artaud dans Pour en finir avec le jugement de Dieu. Gérard Gasiorowski (1930-1986) a-t-il médité sur pareille assertion ?

L’on ne sait, mais, quoi qu’il en soit, elle sied à merveille à l’une de ses expériences picturales les plus audacieuses qui consista à… peindre avec sa propre merde ! Ou plus précisément avec le jus de ses excréments conservés en vue de la confection de Tourtes (1977-1979) par l’Indienne Kiga qui, dans la fiction de l’Académie Worosis Kiga imaginée par l’artiste, assassine le directeur d’une école d’art jugé trop dogmatique et dirigiste.

Disposées en petit amas pyramidal, ces Tourtes composées d’un agrégat d’excréments, de paille et de plantes aromatiques évoquent furieusement les pommes cézanniennes et se posent telles des offrandes à une peinture qui semble avoir été là digérée, à la fois dans sa symbolique, sa matière, son histoire et sa charge. Rien de scatologique ni de dégradant dans cette action, mais au contraire l’élévation de l’acte de peindre à une forme de pureté qui passe par l’innocence de sa protagoniste, qui revendique et symbolise une forme de vérité de la peinture.

Kiga qui peu après réalise également la série Les Jus (1979), soit quarante-huit compositions sur papier exécutées avec les jus récupérés de ses excréments. Tracées avec le doigt, elles figurent frontalement et avec une grande simplicité d’expression, presque primitive, son univers immédiat, des membres de sa famille, les ustensiles de la maison, de même que des poupées et des masques rituels.

Face à une peinture que sa carrière durant Gasiorowski entendit défendre pour en jouir autant que pour en défier les facilités ou les évidences, l’usage de la merde comme pigment relève de la quête du dépassement d’une pratique et de ses acquis. Physique sans être portée par une gestuelle, elle est également parfaitement naturelle. Ici tout vient de l’être en effet : voilà la peinture dans son essence même.

Frédéric Bonnet, né en 1971, est un spécialiste de l’art contemporain, critique d’art au Journal des Arts depuis 2005. Il intervient également dans l’émission La Dispute de France Culture depuis 2011. Commissaire d’expositions, il a notamment organisé l’exposition « Fresh Painting, French Painting » à Athènes en 2015 et la rétrospective« General Idea » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 2011.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : 1979 : <em>Les Jus</em> de Gérard Gasiorowski

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