Campus. De nombreux articles sont parus dernièrement pour mentionner de sérieux malaises au sein des écoles d’art françaises. Ils ne mentionnent cependant jamais le fond même du problème de ces écoles. Ils ne mentionnent également jamais la distance de plus en plus profonde qui se creuse entre ces établissements et les écoles d’art européennes.
La majorité de nos 45 écoles d’art sont municipales et leur financement provient à hauteur de 80/85 % de budgets municipaux. Suite à la RGPP (révision générale des politiques publiques), des écoles d’art se sont réunies en EPCC [Établissement public de coopération culturelle] dans lesquels les municipalités sont aujourd’hui majoritaires et dans lesquels la voix de l’État est devenue complètement inexistante de par sa participation budgétaire minime (moins de 10 %). Les écoles d’art sont donc majoritairement financées et gérées par les Villes, qui ne sont ni compétentes ni responsables dans ce domaine.
C’est la raison pour laquelle la question du statut universitaire des écoles d’art devient un sujet essentiel. Aujourd’hui la formation artistique se fait soit en école d’art, soit dans le département arts plastiques de l’Université. Ces écoles d’art « municipales » sont cependant placées sous la double tutelle du ministère de la Culture et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [MESR], sans aucun dialogue entre ces ministères. Situation rocambolesque s’il en est, d’autant plus que le ministère de la Culture verse en moyenne 10 % du budget et le MESR donne son accréditation sans aucune participation financière. Une fusion entre écoles d’art et départements universitaires d’arts plastiques semble vraiment nécessaire.
Cette fusion devrait pouvoir entraîner une diminution notoire du nombre de ces écoles, très nombreuses mais aux effectifs [d’étudiants] extrêmement réduits. Cette fusion pourrait également apporter de la part de leurs deux ministères de tutelle un financement de base à hauteur de 50 %, ce qui correspondrait au financement actuel par le MESR de nombreuses écoles supérieures d’ingénieurs françaises. Les autres 50 % devraient venir d’une augmentation des frais d’inscription (aujourd’hui de 200 à 300 €, contrairement aux écoles européennes, de 3 000 à 4 000 €) avec une demande financière supplémentaire pour les étudiants extra-européens. Régions et Villes pourraient participer à ce financement selon leurs choix culturels ou attribuer des bourses d’étude aux étudiants boursiers de leur ville ou région.
De plus, ces écoles d’art universitaires devraient aller chercher des financements auprès d’entreprises privées friandes du recrutement de ces étudiants créateurs capables de développer des projets spécifiques en équipe. Un fort réseau actif d’Alumni devrait se développer pour participer à ce rapprochement avec les entreprises – un tel réseau à ce jour est totalement inexistant.
Contrairement à ce triste et rapide constat, force est de remarquer que, dans le reste des pays européens et encore plus fortement dans les pays du nord de l’Europe, les écoles d’art sont en forte évolution et vivent une véritable transformation. Les responsables de ces pays constatent la domination grandissante du monde informatique et donc la diminution forte des emplois. Peu à peu la denrée rare et recherchée deviendra la créativité qui sera l’élément indispensable au sein d’équipes de chercheurs venant de tous horizons. Cette créativité s’apprend justement dans nos écoles de création qui dans la plupart de ces pays fonctionnent déjà d’une manière interdisciplinaire. En Finlande, en Suède, en Norvège, aux Pays-Bas, les écoles d’arts plastiques, de danse, de musique, de design, de théâtre se sont regroupées pour former un nouveau type d’écoles de création. Ces écoles rassemblent de 1500 à 2000 étudiants, contrairement à nos écoles, trop nombreuses (45) mais aux effectifs trop restreints (200 à 300 étudiants). De plus, en Europe, ces écoles sont équipées de moyens techniques de premier ordre et les enseignants artistes perçoivent un salaire véritable et respectable. La sélection des étudiants est rigoureuse et la politique internationale de ces écoles est très ouverte, accueillant plus de 30 à 40 % d’étudiants étrangers, contrairement à nos écoles qui ont du mal à en accueillir 15 %.
Dans ce contexte international, la participation active à des structures européennes comme Elia [Ligue européenne des instituts des arts] permet à nos établissements de prendre conscience d’autres modes de fonctionnement, de s’en inspirer et d’établir avec eux des politiques d’échanges constructives. Il est vrai que de nombreuses écoles d’art françaises sont membres d’Elia et payent leur cotisation annuelle, mais ceci surtout pour leur permettre d’afficher auprès de l’HCERES [Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur] la preuve de leurs relations internationales ! Notre pays est de même totalement absent de EQ-Arts [Enhancing Quality in the Arts], instance affiliée à Enqa (European for Quality Assurance in Higher Education), forme d’HCERES européenne qui évalue cet enseignement au niveau européen et favorise les échanges des étudiants, des enseignants et du personnel administratif.
C’est également grâce à Elia ou à des organisations similaires que la mise en place d’un doctorat en arts plastiques à partir de l’œuvre d’art et non d’une thèse universitaire a vu le jour dès 1995 en Norvège et s’est étendue dans la majorité des pays du nord de l’Europe. Étrangement, en France, le réseau interuniversitaire des écoles doctorales universitaires (Rescam) se montre très favorable à l’évolution du doctorat à partir de l’œuvre d’art mais, encore une fois, c’est le ministère de la Culture qui ne se positionne pas et refuse de prendre l’attache de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour faire avancer ce dossier. Ce doctorat en art permettrait aux enseignants artistes d’enseigner dans d’autres pays européens et de mieux se faire connaître à l’étranger en tant qu’artiste. Ce statut actuel d’école d’art dépendant des municipalités reste donc très contraignant et empêche nos étudiants d’intégrer cette mouvance européenne fort stimulante.
Dans un monde en pleine transformation, les écoles de création sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important. Ces écoles, contrairement à certaines idées romantiques, ne forment pas que des artistes (on est artiste ou on ne l’est pas !). Par contre, dans ces écoles les enseignants artistes, de par l’utilisation de la technique pédagogique de la maïeutique, apportent aux étudiants une connaissance de soi qui leur permet, au sein d’équipes pluridisciplinaires, de porter un regard particulier, un angle de vision original et créateur.
Il est grand temps que le ministère de la Culture prenne conscience de cette perte de vitesse de nos écoles d’art françaises qui deviennent à l’évidence de simples écoles préparatoires pour bon nombre d’étudiants français et étrangers, préparatoires pour partir ensuite poursuivre leurs études dans de vraies écoles d’art reconnues au niveau international.
Philippe Hardy est directeur général de l’École européenne supérieure des arts de Bretagne (2010-2015), membre du comité de direction d’ELIA (2011-2016), membre du comité de direction de EQ-ARTS (2014-2018)
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Les écoles d’art françaises de plus en plus isolées en Europe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : Les écoles d’art françaises de plus en plus isolées en Europe