Régimes différents, tutelles multiples, désaccords stratégiques, la fissure entre écoles nationales et territoriales tend à s’agrandir.
En profonde mutation depuis quinze ans, l’enseignement supérieur artistique mesure peu à peu les conséquences des réformes menées dans son secteur. En 2002, les écoles nationales supérieures d’art (Beaux-Arts de Paris, École des Arts décoratifs de Paris, Cergy, Villa Arson à Nice, Bourges, Dijon, Limoges, Nancy, Arles), qui relèvent du ministère de la Culture, deviennent en effet des établissements publics administratifs (EPA). Peu après, la trentaine d’écoles d’art dites « territoriales », la plupart fonctionnant jusque-là sous régie municipale, sont transformées en établissement public de coopération culturelle (EPCC), dont les principaux financeurs sont les collectivités locales (l’État y est aussi présent). Écoles nationales et territoriales appliquent néanmoins les mêmes principes pédagogiques et délivrent des diplômes identiques, notamment le diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP), conférant le grade de master.
Au sein des EPCC, les écoles connaissent par ailleurs une grande disparité, les collectivités n’ayant pas toutes les mêmes moyens ni les mêmes ambitions. Ainsi qu’on a pu le voir à Avignon, Angoulême, Tourcoing ou Valenciennes, les écoles sont à la merci de revirements municipaux, et la moindre baisse d’une subvention locale met en péril leur équilibre budgétaire. Mais d’un autre côté, les statuts d’un EPCC empêchent tout retrait soudain et contraignent les bailleurs de fonds à accepter des compromis : à Angoulême par exemple, l’agglomération est venue compenser le retrait financier partiel de la Ville. En revanche, du côté des écoles nationales, le ministère de la Culture et de la Communication, principal financeur, épargne aux établissements cette instabilité.
S’ensuivent des stratégies divergentes entre « nationales » et « territoriales ». Les écoles nationales, dans la lignée des réformes engagées sur la recherche en école d’art, souhaitent dépendre davantage du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sur le modèle des écoles nationales d’architecture. À l’inverse, les écoles territoriales en EPCC ont besoin de rendre leur action légitime auprès des décideurs locaux, et mettent en avant leur attractivité et dynamisme, lesquelles ont un impact sur l’économie locale.
En dépit de ces différences de stratégie, les écoles « exercent des missions d’enseignement supérieur depuis le champ de l’art », explique Emmanuel Tibloux, président de l’Association nationale des écoles supérieures d’art (ANdEA). D’où l’appel régulier envoyé au ministère pour que celui-ci définisse une stratégie commune avec les collectivités territoriales. En bref, les EPCC craignent un éloignement du ministère de la Culture, tandis que les écoles nationales, pourtant dépendantes de la Rue de Valois, lorgnent vers l’Enseignement supérieur. On retrouve ce paradoxe dans les désaccords sur la création du « CNESERAC » (lire l’encadré), l’instance née de la loi du 7 juillet dernier.
La différence de statut vient de rebondir sur la question du régime des enseignants. Rappelons qu’il n’existe pas de statut spécifique d’« artiste-enseignant », comme il en existe depuis peu pour les professeurs en école d’architecture, sur le modèle de l’« enseignant-chercheur » à l’Université. Par ailleurs, les écoles nationales ne peuvent embaucher de contractuels, ce qui ne facilite pas la gestion de leur équipe pédagogique. Une rigidité dont ne souffrent pas les Beaux-Arts de Paris ou l’Ensad (École nationale supérieure des arts décoratifs), qui possèdent un statut encore différent…
Du côté des rémunérations, les disparités entre les titulaires de la fonction publique nationale et ceux de la fonction publique territoriale étaient déjà importantes, avec des écarts salariaux entre enseignants allant de 20 % à 30 %. Le 14 décembre 2016, lors d’une réunion de toutes les écoles supérieures d’art organisée au Centre Pompidou, le ministère a annoncé la revalorisation du statut des enseignants des écoles nationales. Se sentant trahis, les personnels des écoles territoriales en EPCC se mobilisent, et publient depuis un mois lettres ouvertes, pétitions et tracts intersyndicaux. Les professeurs d’écoles nationales réfutent ce procès en trahison : « Nous négocions avec le ministère depuis plus d’un an, comme n’importe quelle corporation avec sa tutelle. Ce qui n’enlève rien au fait que les territoriales ont besoin d’un rattrapage, que nous soutiendrons », explique l’un d’eux. De fait, le ministère a choisi de renégocier d’abord avec les personnels en gestion directe (ceux des écoles nationales). Car changer le régime des enseignants en territoriale demande une ferme volonté politique : réformer une fonction publique territoriale nécessite l’implication de quatre ministères (Intérieur, Travail, Culture et Enseignement supérieur).
Amertume
Rares sont ceux à remettre en cause la légitimité des revalorisations salariales : les enseignants des écoles nationales, au plus haut échelon, toucheront au maximum 5 500 euros brut mensuels, comme les inspecteurs de la direction générale de la Création artistique ou les professeurs en école d’architecture, un montant en phase avec les salaires de l’Université. Mais cette revalorisation augmentera l’écart jusqu’à 40 % avec les enseignants des écoles territoriales, qui critiquent par ailleurs la méthode. « Nous avons toujours inclus les écoles nationales dans nos tentatives de négociations. Il est dommage qu’elles n’aient pas fait de même », regrette Pierre-Jean Galdin, directeur de l’École supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole, qui avait travaillé, dès 2013, sur une réforme du statut des professeurs en école territoriale, restée lettre morte.
Pour le ministère, ce calendrier décalé était inévitable : « Pour fixer les modalités d’un alignement [des enseignants concernés de la fonction publique territoriale] sur le statut des enseignants des écoles nationales, il nous fallait nous assurer que ce dernier ne changerait pas. Raison pour laquelle nous l’avons préalablement renégocié, explique-t-on. Cette négociation longue, réfléchie, a duré plus d’un an. S’ensuit un renchérissement de la différence à combler, certes, mais c’est le sens logique de la négociation. »
Hervé Alexandre, trésorier de l’ANdEA et secrétaire général de l’École d’enseignement supérieur d’art de Bordeaux, craint au contraire que la marche soit désormais trop haute : l’ANdEA avait chiffré le rattrapage entre territoriales et nationales à une somme comprise entre 2 et 4 millions d’euros. « Cette marche soudaine à gravir en double le coût » souligne-t-il.
Avec l’entrée en vigueur du nouveau statut au courant de l’année 2017, les écoles territoriales seront encore plus défavorisées par rapport aux écoles nationales. Les EPCC les plus solides survivront à ce décalage, mais les plus fragiles risquent de disparaître ou de fusionner à marche forcée.
Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), pour l’Université, est l’assemblée paritaire au sein de laquelle sont définis les programmes et les grandes stratégies, toutes disciplines confondues. La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, votée le 7 juillet 2016, institue un Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels (CNESERAC), placé sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. Pour l’ANdEA, ce conseil pallie l’absence d’une instance de réflexion pédagogique propre aux écoles d’art, lesquelles auraient été marginalisées au sein du CNESER. Pour d’autres, tels des personnels d’écoles nationales, cette couche administrative supplémentaire est inutile et retarde l’intégration des écoles d’art dans le monde universitaire. Ils rappellent la dérogation consentie aux écoles d’architecture qui ne dépendent que du CNESER, malgré la tutelle financière du ministère de la Culture. Le décret d’application du CNESERAC sera publié sous quelques semaines. Eu égard au contexte, une instance de dialogue supplémentaire aura nécessairement un intérêt.
Pierre-Jean Galdin, directeur de l'École supérieure des beaux-arts de Nantes © ESBA Nantes
Emmanuel Tibloux, directeur de l'École supérieure des beaux-arts de Lyon © photo Mükerrem Tuncay | courtesy Ensba Lyon
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les écoles supérieures d’art se divisent
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €En savoir plus
Consulter la fiche biographique de Emmanuel Tibloux
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Les écoles supérieures d’art se divisent