Refusant le statut d’établissement public pour leur école d’art, certaines collectivités locales obligent ainsi le ministère à créer des régimes d’exception.
Si l’on s’en tenait à une lecture littérale des textes administratifs, l’école Média Art (EMA) Fructidor à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et l’École supérieure d’art des Rocailles à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) seraient sans doute les deux meilleures écoles d’art territoriales de France. En effet, elles viennent d’entrer dans le cercle très fermé des établissements délivrant des « diplômes d’école » reconnus par le ministère de la Culture et de la Communication, aux côtés de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, ou encore de l’École nationale de photographie, à Arles... D’où vient cette étonnante catégorie ? Dans le cas de Chalon, c’est simple : la collectivité de tutelle refuse de transformer l’école, actuellement régie par la communauté d’agglomération, en établissement public de coopération culturelle (EPCC), comme presque toutes les écoles de beaux-arts de France s’y sont conformés depuis 2011.
Or, la réforme est claire : sans statut d’EPCC, une école ne peut postuler aux rapports d’évaluation du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Depuis les accords de Bologne en 1999, ce Haut conseil se prononce sur l’habilitation d’un établissement à décerner un diplôme conférant grade de licence, de master ou de doctorat (la fameuse « harmonisation LMD »). En d’autres termes : pas d’EPCC, pas de grade. Ne pas pouvoir délivrer de master à l’issue de cinq ans d’études signifierait, dans le contexte de concurrence entre les formations supérieures, un déclassement à long terme irrémédiable. Pour ne pas sanctionner un établissement qui ne décide pas de son statut, l’État reconnaît des diplômes créés sur mesure : à défaut de diplôme national d’arts plastiques (DNAP), on accepte le DNA (diplôme national d’art, sanctionnant le 1er cycle). Sans diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP, conférant grade de master), on invente le « DESMA » (diplôme d’enseignement supérieur média et art, à l’issue du second cycle de Chalon).
En reconnaissant ces diplômes jusqu’en juin 2017 par l’arrêté ministériel du 24 décembre 2015, le ministère s’autorise à ne pas appliquer la loi. Dans le cas contraire, il pénaliserait les étudiants de manière injuste. En effet, ces derniers ont choisi en toute bonne foi une école censée délivrer un DNAP ou un DNSEP, à moyen terme. Problème : la dérogation ne risque-t-elle pas d’être indéfiniment prolongée, eu égard aux nouveaux étudiants qui se voient chaque année promettre la même perspective à leur entrée ?
À Biarritz, l’école d’art est gérée en régie municipale. Dans son cas, l’arrêté semble approprié : le rapprochement en cours avec Bordeaux (envisagé pour la rentrée 2017) devrait permettre de pérenniser le premier cycle jusqu’à une refonte cohérente. Au Grand Chalon, rien n’indique que le temporaire ne s’éternise pas. Depuis le changement d’orientation politique survenu aux municipales de 2014, le projet d’EPCC piétine. Selon une source proche du dossier, l’agglomération, qui n’a pas souhaité répondre au Journal des Arts, craindrait des coûts supplémentaires et ne souhaiterait pas diluer sa responsabilité dans un conseil d’administration. Des contacts ont été pris avec Dijon (école nationale) puis abandonnés. Un rapprochement avec le Pôle d’enseignement supérieur musique Bourgogne serait à l’étude. En attendant un revirement stratégique de sa tutelle, l’école d’art s’efforce de maintenir le niveau de ses enseignements, et la promesse du statut correspondant à la formation de ses étudiants.
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Écoles d’art, des diplômes à géométrie variable
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Abonnez-vous dès 1 €Autre école concernée par l’arrêté publié au JO le 24 décembre 2015, le Campus carïbéen des arts a fait l’objet d’une évaluation par le HCERES en 2014-2015. Le rapport du Haut conseil était sévère, pointant des carences d’information, de définition du projet pédagogique, et une absence d’évaluation à tous les niveaux. Établissement public administratif, l’école d’art de la Martinique a connu dernièrement d’importants changements. La fusion des conseils régional et général en une unique « collectivité territoriale de Martinique » a rendu vacant le siège de président du conseil d’administration, qui doit être attribué prochainement. La directrice générale, Michèle Latouche, a été nommée en novembre 2014, et a eu tout juste le temps de satisfaire à ses obligations administratives avant de remplir le rapport. Elle a nommé le 15 janvier dernier un nouveau directeur des études (Julien Honorat, plasticien et ancien maître de conférences en arts plastiques à l’université Toulouse-Jean-Jaurès), pour repenser le projet pédagogique. C’est pour saluer ces efforts que le ministère de la Culture et de la Communication, par l’arrêté du 24 décembre 2015 portant sur les diplômes dérogatoires, a repoussé les sanctions (et notamment la perte possible de l’habilitation à conférer le grade de master), laissant à la nouvelle équipe deux années scolaires pour redresser la barre et conserver son DNSEP (diplôme national d’expression plastique).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Écoles d’art, des diplômes à géométrie variable