PARIS
La nouvelle direction de l’école a récemment intégré l’urgence environnementale et entend participer pleinement à la conception des futurs objets écoresponsables.
Emmanuel Tibloux (53 ans) a dirigé trois écoles d’art (Valence, Saint-Étienne, Lyon) avant de prendre les commandes de l’Ensad en juillet 2018, succédant à Marc Partouche. Il a présidé l’Association nationale des écoles supérieures d’art publiques (ANdEA) de 2009 à 2017. Il fait le bilan de son action au terme de sa première année et évoque les perspectives.
Oui ! L’École des Arts décoratifs est une école extraordinaire. Elle couvre tous les champs de la création : l’art, le design et la mode. Ses capacités de production sont aussi sans équivalent. Elle est véritablement le laboratoire et la fabrique du « décor » de demain. L’école doit cependant affronter de grands enjeux.
Oui car les 700 étudiants de l’école sont encore trop homogènes, avec une forte proportion de Parisiens, dotés d’un grand capital culturel. Même si 25 % de nos étudiants sont boursiers, ce taux est inférieur à celui des écoles d’art en général (33 %). Je suis d’autant plus conscient du déficit de diversité que, dans les écoles que j’ai dirigées précédemment, notamment à Valence et Saint-Étienne, il y avait beaucoup plus de mixité. Il faut étendre la diversité car les concepteurs du « décor » de demain doivent être représentatifs de toute la société française.
Nous avons déjà modifié certains sujets du concours d’entrée afin de faire appel à des pratiques et des savoirs à la fois plus diversifiés et plus communs. D’ailleurs le nombre d’admis venant directement du lycée [sans passer par une prépa, NDLR] a augmenté. On travaille également sur un « parcours prépa » qui va octroyer à des élèves de terminale quelques heures de préparation au concours d’entrée. L’an prochain nous allons intégrer Parcoursup, ce qui va nous permettre de toucher tous les lycéens. Un obstacle pour les étudiants de province est le logement. Nous avons signé un accord avec le Crous qui va mettre à notre disposition quinze chambres, c’est encore modeste mais c’est une première étape.
Cela tient au fait que le concours d’entrée en 1re année est surtout adapté aux étudiants français. Et notre enseignement est d’abord destiné aux étudiants francophones. Mais 16 étrangers (sur 60) nous ont rejoints en 2e et 4e année, ce qui donne un taux plus élevé, de 27 %.
Les étudiants partent en 4e année. Au premier semestre 2019, 84 étudiants sont partis « en échange » et dix partiront au deuxième semestre, soit un taux de 60 %. Il faut prendre en compte le fait que les étudiants qui intègrent l’école en 4e année ont plutôt envie de se familiariser avec celle-ci. Nous sommes aussi un peu coincés avec les règles de réciprocité ; nous avons des accords avec 140 écoles à l’étranger et nous ne pouvons pas toujours accueillir leurs étudiants.
Nous proposons par ailleurs d’autres dispositifs favorisant une expérience internationale, tels qu’un double diplôme avec l’école de mode japonaise Bunka ou un projet de plateforme dévolue à l’artisanat numérique à Fès au Maroc.
Non, car c’est l’une des forces de l’école. Nous avons à cœur d’améliorer l’interdisciplinarité tout en restant pragmatiques. C’est ce que permet l’organisation en dix spécialités (architecture intérieure, art-espace, cinéma d’animation, design graphique, design objet, design textile et matière, design vêtement, image imprimée, photo/vidéo et scénographie), mais aussi en dix-neuf ateliers techniques remarquables. Il ne faut pas systématiser les croisements, les secteurs ne se ressemblent pas. Dans certains, les enseignements spécifiques sont fondamentaux ; dans d’autres, c’est l’ouverture qui importe.
La difficulté d’une école comme la nôtre, c’est l’articulation entre le tout et les parties. Il faut garder de l’agilité, et pour cela faire varier les échelles, ce que permettent les secteurs.
Cela évolue. Nous allons remplacer le conseil des études et de la recherche, où tout se mélange, par trois conseils : un conseil de la recherche, un conseil d’orientations stratégiques et un conseil de la formation et de la vie étudiante. Ce dernier est une forme de parlement où chaque secteur sera représenté par un enseignant et un étudiant. Je veux davantage associer les étudiants à la gouvernance de l’école, notamment dans le cadre de la transition écologique, qui exige des formes de gouvernance plus inclusives et horizontales, capables aussi d’intégrer les forces de l’urgence.
Je dois reconnaître que je ne l’avais pas assez prise en compte dans mon projet. Mais maintenant elle doit constituer notre priorité. Nous partons de loin et sommes face à des enjeux critiques. Songez que rien n’était trié à l’école. Songez que l’industrie de la mode est la deuxième source de pollution mondiale.
Je veux faire de l’École des Arts décoratifs la grande école de la transition écologique. Car c’est aux designers et aux créateurs que nous formons qu’il revient de concevoir les services et les produits de demain, mais aussi d’infléchir nos usages et de façonner notre imaginaire.
Nous allons organiser le 15 octobre [l’entretien a été réalisé avant cette date] une grande journée de réflexion sur le sujet, impliquant tous les acteurs de l’école (étudiants, enseignants et personnels), au terme de laquelle quinze propositions d’actions seront partagées. Le 19 novembre, l’école accueillera la journée nationale « Culture et développement durable » sous l’égide de la mission du Développement durable du ministère de la Culture.
Celui-ci n’est plus à l’ordre du jour en tant que tel. Il nous manque 1 000 mètres carrés, mais Versailles est trop éloigné pour y déployer l’école. J’ai travaillé sur d’autres pistes. Nous devrions pouvoir bénéficier de près de 300 mètres carrés de locaux à la rentrée prochaine dans la Manufacture des Gobelins toute proche. Ce lieu a d’autant plus d’intérêt qu’il croise un autre projet d’intérêt majeur. Le site des Gobelins, comme celui de Versailles, auquel je reste attentif, a été retenu dans le cadre des campus d’excellence du ministre Jean-Michel Blanquer. Ceux-ci visent notamment à mettre en contact la filière professionnelle du secondaire et l’enseignement supérieur.
Tourné vers le design et les métiers d’art, le campus des Gobelins est complémentaire de l’université PSL [Paris-Sciences-et-Lettres] à laquelle nous sommes associés. Quand PSL nous permet de croiser nos approches avec d’autres champs académiques et de stimuler nos activités de recherche, le campus des Gobelins nous donnera l’occasion de collaborer avec le secondaire, les écoles parisiennes d’arts appliqués, ou encore le Cnam [Conservatoire national des arts et métiers].
L’un des projets que nous allons porter est la création d’une matériauthèque orientée vers l’écoconception. L’enjeu est de nous doter d’un outil à la hauteur de l’importance des cultures matérielles, qui sont trop souvent minorées dans les écoles d’art. Celles-ci sont pourtant essentielles, notamment dans la perspective de la transition écologique qui doit être notre priorité à tous.
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Emmanuel Tibloux : « Notre priorité : la transition écologique »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°531 du 18 octobre 2019, avec le titre suivant : Emmanuel Tibloux, directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad) : « Notre priorité : la transition écologique »