L’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art, en pleine transformation, offre deux masters fondés sur le travail en groupe et la pluridisciplinarité.
Paris. Quels sont donc les points communs entre l’artiste Daniel Buren, les designers Roger Tallon et Ronan Bouroullec, et Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française ? Un grand talent créatif et… l’Ensaama dont ils sont d’anciens élèves. Issue de la fusion de l’École des arts appliqués à l’industrie et de l’École des métiers d’art, installée en 1969 rue Olivier-de-Serres à Paris, l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art est en pleine mutation. Poids lourd des écoles d’art et de design parisiennes avec près de 1 000 étudiants inscrits (contre environ 800 à l’École nationale supérieure des arts décoratifs et 600 aux Beaux-Arts de Paris), cultivant sa foisonnante identité avec discrétion, l’établissement, qui relève du ministère de l’Éducation nationale, parie sur le dépassement des clivages traditionnels sans renier ses spécificités. « En 2021, nous mettrons en place la réforme du diplôme supérieur des arts appliqués (DSAA), équivalent master, après la réforme du diplôme national des métiers d’art et du design (DNMADE) valant grade de licence, qui a remplacé en 2018 les cursus post-bac (Manaa [mise à niveau en arts appliqués], BTS, DMA [diplôme des métiers d’art]), trop peu lisibles notamment au plan international, souligne Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l’Ensaama. La réforme accompagne les étudiants vers une démarche de concepteur-créateur. »
L’offre pédagogique, professionnalisante, est multiple : graphisme, matériaux, numérique, objet, spectacle, design d’espace, mode et innovation textile, métiers d’art… Deux masters complètent les parcours, avec une double exigence : le travail en groupe et la pluridisciplinarité de la formation des étudiants. Chacun d’eux est ouvert à 24 étudiants, même en pleine pandémie. « Pour les étudiants en métiers d’art, la période est très difficile. Mais on voit aussi que l’on a réussi à s’adapter à de nouvelles pratiques de manière fulgurante ! », relève le directeur. Paradoxalement restée sous un statut d’établissement secondaire, l’École a pu admettre ses étudiants en présentiel un jour sur deux et multiplié les visioconférences.
Au sein du master 2 Design, parcours Ingénierie en stratégie du design, adossé depuis cette année à l’université d’Evry-Val-d’Essonne-université Paris-Saclay, les étudiants se préparent au monde professionnel dans les domaines du soin/santé, de la mobilité et du luxe grâce à des partenariats avec des entreprises comme General Electric ou PSA ainsi qu’avec les maisons de luxe du Comité Colbert. Paula Magniez, 33 ans, passée par l’IUT d’Ivry, option « design industriel », voulait « voir ce qui se passait derrière l’objet ». Dans le cadre de ce master – « sa meilleure année d’études ! » –, elle fait des recherches sur les matériaux tout en affinant sa réflexion sur la responsabilité des marques de luxe. « J’ai choisi de faire mon stage professionnel de six mois au sein du Groupe L’Oréal, qui m’a ensuite recrutée. Je voulais travailler dans une entreprise très engagée sur le plan social et le durable. Le luxe doit être un vecteur de conscience de la nécessité écologique ! L’objet coûte plus cher mais doit avoir plus de sens et durer plus longtemps. » Recrutée il y a huit ans dans le Groupe, aujourd’hui responsable de l’architecture de Yves Saint Laurent Beauté, et donc de l’aménagement des boutiques de cosmétiques, du plancher au plafond, la designer est aussi chargée d’offrir de nouvelles expériences aux acheteurs dans les points de vente. « Avec la crise sanitaire et la priorité absolue accordée à l’hygiène, Yves Saint Laurent s’adapte et a développé une application de maquillage en réalité augmentée, ou encore des systèmes de diffusion de fragrance sèche. On travaille également sur la naturalité de nos ingrédients avec les Jardins collectifs de l’Ourika où, grâce à une communauté de femmes marocaines, sont cultivés de la menthe, de la sauge, des fleurs de souci, des figues de barbarie et du safran qui entrent dans la composition de nos produits. »
Le master 2 Design parcours Création, projets, transdisciplinarité, quant à lui tourné vers la commande publique, donne lieu à une résidence au Mobilier national. Créé en 2015 sous une forme expérimentale par les quatre écoles d’arts appliqués de Paris – Boulle, Duperré, Estienne et Ensama –, le master 2 voit son diplôme désormais délivré par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et s’inscrit au sein du « Campus d’excellence des métiers d’art et du design-Manufactures des Gobelins » également porté par l’Ensaama. Accueillis au pavillon d’Angiviller, du nom du dernier directeur général des Bâtiments du roi, les étudiants du master 2 bénéficient de la richesse inspirante des collections, des ateliers et des savoir-faire réunis au Mobilier national, ainsi que d’un site unique, l’enclos des Gobelins. Passée par Duperré, Audrey Briot, 26 ans, choisit ce master pour son partenariat avec le Mobilier national, foyer historique de la tapisserie à fils d’or et d’argent. Ses recherches portent sur les textiles et le réemploi de ces matériaux conducteurs. Comment rendre le textile vecteur de mémoire, d’interaction ? Avec un autre designer, elle crée une tenture en tricot autour de l’épopée d’un chevalier contemporain, un soldat, à partir d’éléments glanés sur les réseaux sociaux. Connectée, la tenture renvoie des sons quand on la touche. La designer travaille également sur des plumes laissées au naturel, avec leur panache, leur rebondi, qu’elle rend conductrices, puis qu’elle insère dans un circuit électronique grâce à la technique de la broderie de Lunéville. Un son se déclenche au moindre contact… Quels secteurs d’application Audrey Briot imagine-t-elle pour ses recherches ? L’aéronautique, l’automobile, la haute couture ou la médecine. « Il faut concevoir un développement durable qui inclue tous les acteurs et les savoir-faire. Mon projet est de travailler sur des interfaces homme-machine en sauvegardant les savoir-faire traditionnels grâce à l’utilisation raisonnée de l’électronique. »
Margaux Drocourt, 24 ans, d’abord formée à Duperré et à Boulle, estime que le master 2 offre une grande liberté, « une flexibilité hyper intéressante ». Les projets sont développés en toute autonomie mais doivent être reliés au Mobilier national. Avec son binôme, elle a travaillé sur le développement d’un jeu en ligne pour la création de tapisseries, ouvert à tous, basé sur le pixel art, susceptible d’enrichir la plateforme recensant les collections du Mobilier national. Après son stage professionnel à Vraiment Vraiment, agence de design d’intérêt général, elle y est recrutée, il y a un an.
La marque de fabrique de l’Ensaama ? Gilles Garel, professeur titulaire de la chaire de gestion de l’innovation au Cnam et directeur du master 2 Design parcours Création, apporte cette réponse : « une bonne formation à la conception et au design autorise une large expansion ». Et de conclure avec optimisme : « Les designers ont une forte capacité intégratrice de toutes les dimensions de l’activité de conception. Ce sont les concepteurs d’un monde nouveau… »
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L’Ensaama, une école ouverte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°567 du 14 mai 2021, avec le titre suivant : L’Ensaama, une école ouverte