Photographie

William Klein : « J’aimais expérimenter »

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 26 avril 2018 - 1725 mots

PARIS

Arrivé à la photo par la peinture, cet esprit libre et frondeur n’a eu de cesse, tout au long de sa carrière, de franchir les frontières des disciplines artistiques, guidé par ses rencontres et une curiosité toujours en éveil à 90 printemps.

William Klein, <em>Autoportrait</em>
WIlliam Klein, Autoportrait
© William Klein

William Klein reçoit chez lui. Le vaste salon baigné de lumière donne sur le jardin du Luxembourg. L’espace regorge de boîtes de photographies, de dossiers, de papiers et d’objets divers. Des rangées de livres, de vinyles et de CD, des bibelots et des toiles de son épouse recouvrent les murs. Le 19 avril, le photographe américain a fêté ses 90 ans. La galerie Polka et les éditions Textuel reviennent avec « William + Klein » sur les différentes périodes de l’œuvre. Né à New York en 1928 et arrivé à Paris vingt ans plus tard, William Klein n’en a toujours fait qu’à sa tête. Son talent s’exprime dans les photographies, les livres et les films en bousculant les codes et les visions. Ses images en noir et blanc de New York ont bouleversé les normes esthétiques de la photographie dans les années 1950 et influencé nombre de photographes en particulier au Japon, au premier rang desquels Daido Moriyama.

Peut-on dire que les salles du Guggenheim et du Moma (Museum of Modern Art) à New York ont vu naître votre éveil à l’art ?

On y trouvait tout. J’aimais regarder ce que se passait en peinture à Paris et ailleurs en Europe. Kandinsky m’intéressait beaucoup.

Votre service militaire terminé en Allemagne, la bourse de GI Bill [ndlr, bourse d’études pour les militaires] vous permet de reprendre vos études à la Sorbonne en sociologie et psychologie. Pour quelles raisons fréquentez-vous aussi en 1948 l’Académie André Lhote, comme Henri Cartier-Bresson en 1926, avant de rejoindre l’atelier de Fernand Léger ?

En venant à Paris, j’avais le choix entre André Lhote, Fernand Léger et la Vieille Chaumière. Je ne connaissais pas alors Henri Cartier-Bresson, mais c’étaient les ateliers où passaient tous ceux qui voulaient devenir peintre.

Avec André Lhote justement, Henri Cartier-Bresson a appris à composer selon le nombre d’or et la géométrie. Un enseignement auquel vous étiez sensible vous aussi ?

Pas du tout. Lhote parlait de peinture et d’art comme un théoricien. Il revenait constamment au nombre d’or. Je me souviens que, pour lui, Bonnard était un grand peintre et Matisse, le diable. Il disait : « L’ange est mort et le diable court toujours. » Léger, lui, était le contraire. Il était très direct dans sa manière de parler. Il nous encourageait à dépasser les disciplines, à travailler avec des architectes, à agir comme les peintres du Quattrocento. Masaccio a été une découverte pour moi. Nous étions de jeunes peintres avides d’apprendre, de lire, de découvrir. Je me souviens que nous étions obsédés par le journal de Gide et ses commentaires sur un tel ou tel autre ; sur Cocteau notamment. On aimait le commenter.

Vous lisiez Gide en français ?

Oui ! La littérature est fondamentale. James Joyce, John Dos Passos, Nicolas Gogol, Fiodor Dostoïevski, Isaac Babel… m’ont influencé. Raymond Queneau aussi dont j’étais fan. Quand il a publié Zazie dans le métro [en 1959], je voulais l’adapter au cinéma. C’est Louis Malle qui l’a fait. Je devais le coréaliser avec lui, mais après un premier jour de tournage, j’ai laissé tomber… Impossible d’être deux pour faire un film.

Avant le cinéma il y a eu la photographie. Quand avez-vous commencé à vous y intéresser ?

Par accident et d’abord en amateur. En jouant au poker à l’armée, j’avais gagné un Rolleiflex. Ce n’est que lorsque je suis parti pour New York que j’ai acheté un Leica, mieux adapté à ma façon d’agir : j’étais tombé sur une annonce de Magnum. Curieusement, le vendeur était Henri Cartier-Bresson, alors qu’il était riche…

C’est toutefois l’abstraction géométrique qui a mobilisé d’abord votre intérêt de peintre et de photographe, comme l’a rappelée tout dernièrement l’exposition « Photographisme » au Centre Pompidou ?

Oui. Quand j’ai quitté Léger je me suis intéressé à De Stijl, au Bauhaus, à Laszlo Moholy-Nagy, Man Ray et à György Kepes, à Max Bill aussi et Richard Paul Lohse que je suis allé voir en Suisse. Tout cela a été une révélation. Je découvrais que l’on pouvait faire autre chose en photographie comme en édition de livres.

Comme vos amis Ellsworth Kelly et Jack Youngerman, vous êtes resté à Paris jusqu’à la moitié des années 1950, bien que New York soit alors la capitale de l’art contemporain. Pourquoi n’y êtes-vous pas revenu pour poursuivre la peinture, après votre bourse d’études ?

J’avais rencontré ma femme Jeanne. Je n’avais pas d’attache à New York. Ma famille ne m’intéressait pas, mais les avant-gardes européennes beaucoup plus (rire). J’aimais expérimenter. Mes premières photos, des photos de granges et de maisons hollandaises, étaient inspirées de Mondrian.

Des photos réalisées en 1952, année au cours de laquelle vous exposez au Piccolo Teatro de Milan des peintures abstraites sur invitation d’un autre ami, le metteur en scène italien Giorgio Strehler. Une année marquée par l’Italie ?

Oui, c’est à ce moment aussi qu’un grand galeriste de Milan me propose d’exposer chez lui. C’est là que j’ai rencontré Angelo Mangiarotti. L’architecture connaissait alors en Italie un grand boom [ndlr l’architecte Angelo Mangiarotti qui découvre son travail dans la galerie Il Milione et lui propose une collaboration].

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans les photogrammes peu représentés dans la photographie d’auteur des années 1950 ?

J’aimais explorer les techniques photographiques. Et puis les photogrammes permettaient d’explorer et de créer des formes graphiques.

C’est aussi lors de leur exposition au Salon des réalités nouvelles, à Paris, en 1954, qu’Alexander Liberman les découvre et vous propose de travailler pour Vogue. Vous avez dû être surpris ?

Curieux plutôt, car je n’étais pas un photographe professionnel, et surtout pas un photographe de mode. Je lui ai proposé de faire un livre de photos sur New York. Il était d’accord, mais je devais faire aussi de la mode. J’ai regardé ce que Vogue et Harper’s Bazaar publiaient. Quand j’ai obtenu ma première publication dans Vogue, Richard Avedon qui travaillait pour Harper’s Bazaar m’a écrit pour me dire que lui et moi étions les deux meilleurs photographes américains. Il oubliait Irving Penn pour lequel j’avais une grande sympathie aussi, mais qui n’était pas un ami aussi proche qu’Avedon.

Pourquoi vos photographies de New York n’ont-elles pas été publiées ni par le grand éditeur de presse américain Alexander Liberman ni par un autre éditeur américain ?

Elles étaient trop sombres, trop anti-américaines. Je savais que j’étais en rupture avec la photographie de rue qui se pratiquait alors. Je suis revenu à Paris avec. Je les ai montrées à Magnum à Paris, mais elles n’intéressaient personne. Elles n’ont pas fait tilt !

Vous l’avez regretté ?

Non. Mais je ne savais pas quoi faire de ces photos. Je cherchais un éditeur. Un jour j’ai découvert en librairie la collection Petite Planète. Je suis allé rencontrer celui qui s’en occupait, Chris Marker [ndlr, qui est à l’origine en 1954 de cette collection sur des pays aux éditions du Seuil et l’a dirigée jusqu’en 1958]. Je ne le connaissais pas. Il a beaucoup aimé les photos et il voulait les publier. Il m’a soutenu et encouragé.

En 1958, vous réalisez votre premier film Broadway by Light sur Times Square la nuit – dont Orson Welles dira : « c’est le premier film que j’ai vu où la couleur était absolument nécessaire » – avec Alain Resnais au comontage et Chris Marker comme auteur du commentaire… Quelle place ont-ils tous deux dans votre parcours ?

Ils ont été déterminants. Chris Marker a été un guide pour moi. C’est par lui que j’ai rencontré Alain Resnais. Ils s’étaient connus à l’armée et étaient de grands amis. C’est d’ailleurs Resnais qui m’a dit : « Puisque vous avez fait un livre, il vous faut faire un film. »

Votre famille était dans le cinéma. Comment a-t-elle réagi à ce premier film ?

Elle s’en désintéressait. Elle était plutôt du côté des affaires que du côté artistique. J’avais demandé à mon cousin, vice-président d’United Artists, de le distribuer. Il m’avait renvoyé à son distributeur en France qui a estimé que si on le passait en première partie on ferait fuir tout le monde. Ils n’ont pas davantage réagi à Qui êtes-vous Polly Maggoo? que Chris Marker aimait beaucoup.

Chris Marker crée, en Mai 1968, les cinétracts [ndlr, courts-métrages militants tournés en 8 mm], visibles actuellement à la Cinémathèque dans une rétrospective. En avez-vous réalisé ?

Je ne pouvais pas, car je filmais les événements au jour le jour [ndlr, séries de rushs qui donneront en 1978 le film Grands soirs et petits matins ]. Rétrospectivement je vois Mai 1968 comme une période foisonnante. Nous n’avions aucun complexe.

Vous pensiez que la révolution était possible ?

Bien sûr. On pensait que nos actions pouvaient changer le cours des choses. Nous voulions documenter Mai 1968, et utiliser pour ce faire tous les moyens à notre disposition, notamment sonores. Ce que n’avaient pas pu faire les Russes pour documenter la révolution de 1917. Nous étions très romantiques…

Vous étiez aussi très engagés, si l’on se réfère à la critique sur la mode de Qui êtes-vous Polly Maggoo (1966) ou aux trois films réalisés en 1969, Mister Freedom, satire au vitriol de la société du spectacle, Eldridge Cleaver sur le militant des Black Panthers, ou Muhammad Ali The Greastest sur Cassius Clay. Quelle place tenait justement la mode dans cette période très cinématographique ?

C’était mon gagne-pain. Elle m’a permis de financer beaucoup de choses, d’expérimenter là encore de nouvelles techniques que j’utilisais ensuite pour d’autres travaux. On me laissait faire ce que je voulais. Je me suis beaucoup amusé.

Une liberté que l’on retrouve dans les années 1990, quand vous peignez à l’acrylique des contacts agrandis ?

Oui. Tous les photographes font des marques sur les planches contact pour indiquer leur choix. L’idée est partie d’une envie de donner de la couleur au noir et blanc, du rythme, de combiner photo, peinture et cinéma.

Quels liens gardez-vous avec les États-Unis ?

Je suis un juif new-yorkais. Je me sens toujours Américain, mais je n’ai jamais eu envie de vivre aux États-Unis. C’est un pays raciste, où il y a beaucoup de choses à redire. La photographie et le cinéma m’ont permis de m’exprimer à ce sujet.

William + Klein

jusqu’au 26 mai, Galerie Polka, 12 rue Saint-Gilles, 75003 Paris, www.polkagalerie.com, et « William + Klein », Éditions Textuel, 39 €

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : William Klein « J’aimais expérimenter »

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