PARIS
Le rapport sur la restitution du patrimoine africain présente une vision maximaliste et préconise un changement du Code du patrimoine.
Un pavé dans la mare : le désormais fameux « rapport Sarr-Savoy », du nom de ses auteurs, l’économiste sénégalais Felwine Sarr et l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy, que Le Journal des Arts a lu, est radical. Il ambitionne de changer les règles et les échelles sur la question des restitutions aux États de l’Afrique subsaharienne.
Le Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, au fil de ses 232 pages remises au président de la République le 23 novembre, propose une procédure originale de restitution et imagine un nouveau dispositif juridique à l’intérieur du Code du patrimoine.
Pour expliquer leur vision maximaliste des restitutions, les deux auteurs se fondent d’emblée « sur le constat, souvent formulé par les experts, selon lequel la quasi-totalité du patrimoine matériel des pays d’Afrique situés au sud du Sahara se trouve conservé hors du continent africain (…) alors que d’autres régions du monde représentées dans les collections des musées occidentaux conservent chez elles une part significative de leur patrimoine artistique et culturel. »
Revenant longuement sur l’histoire de la formation des collections françaises d’art africain, le rapport vise à mettre en lumières les différentes appropriations, depuis les expéditions militaires et les collectes missionnaires du XIXe siècle, jusqu’aux missions ethnographiques du début du XXe siècle et au trafic illicite d’œuvres d’art après les indépendances des pays africains. Ces appropriations jugées immorales rendraient illégitime la propriété pourtant légale des biens ainsi acquis depuis le XIXe siècle.
Sarr et Savoy formulent des « critères de restituabilité ». Les auteurs se déclarent ainsi favorable à la restitution des « trophées militaires » et des butins de guerre du XIXe siècle, des objets et archives issus des missions d’exploration coloniale avant 1960 « à moins que n’existent des témoignages explicites du plein consentement des propriétaires ou gardiens des objets au moment où ils se séparent de tel ou tel d’entre eux », et des objets issus des legs et des dons d’agents de l’administration coloniale ou de leurs descendants.
Pour ces trois types d’objets clairement identifiés, Sarr et Savoy se prononce pour une « restitution rapide, et sans recherches supplémentaires de provenance, des objets prélevés en Afrique par la force ou présumées acquis dans des conditions inéquitables ». Ils préconisent des « recherches complémentaires lorsque les pièces réclamées sont entrées dans les musées après 1960 et par le biais de dons, mais qu’on peut néanmoins supposer qu’elles ont quitté l’Afrique avant 1960 » et enfin le « maintien dans les collections françaises des pièces africaines dont il est établi qu’elles ont été acquises : à la suite d’une transaction fondée sur un consentement, à la fois, libre, équitable et documenté ».
Pour procéder à ses restitutions sur demande de chaque État africain concerné, le rapport préconise la « création de commissions paritaires entre la France et chacun des États africains désireux de recouvrer leur patrimoine » sous l’égide du ministère de la Culture et du ministère des Affaires Étrangères.
Enfin, les auteurs proposent la création d’un dispositif juridique inséré dans le Code du patrimoine, « dans le chapitre 2 du Titre 1, où serait insérée une section 5 relative à la restitution de biens culturels sur le fondement d’un accord bilatéral de coopération culturelle avec des pays anciennement colonies, protectorats ou gérés sur mandat français » définissant cet accord, dont découlerait la création d’une commission scientifique paritaire. La décision de restitution serait prise par la personne publique propriétaire des collections (ministre de la Culture pour l’État, maire pour la commune, …) après avis de la commission paritaire, en faveur de l’État bénéficiaire.
Le rapport Sarr-Savoy a déjà eu ses premiers effets : le président de la République, dans la foulée de la remise du texte le 23 novembre, a annoncé la restitution de 26 objets issus du sac du palais de Béhanzin en 1892 et réclamés par le Bénin, sur proposition du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, une restitution précisément envisagée dans le rapport.
Dans son communiqué, l’Elysée temporise cependant la restitution du patrimoine africain : « toutes les formes possibles de circulation de ces œuvres [seront] considérées : restitutions, mais aussi expositions, échanges, prêts, dépôts, coopérations, etc. ». La réflexion est en tout cas bien engagée.
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Restitutions à l’Afrique : les préconisations radicales du rapport Sarr-Savoy
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