PARIS
PARIS [12.12.13] – Le CRAN s’est autosaisi de la question épineuse des restitutions de biens culturels, dans le cadre de l’élargissement récent de son champ d’action aux réparations liées à l’esclavage et au colonialisme. Il avait convié devant le Musée du Quai Branly des manifestants et journalistes, qui ne se sont pas bousculés, pour présenter son nouveau combat, la restitution des « biens mal acquis » par la France sur le continent africain.
Peu de personnes ont répondu présents à l’appel du président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), Louis-Georges Tin, devant le Musée du Quai Branly, pour manifester en vue de la restitution au Bénin des « biens mal acquis » d’Abomey, l’ancienne capitale du royaume du Danhomè. Tout au plus, une douzaine de personnes – journalistes et membres de la fédération inclus – étaient réunis en ce mardi 10 décembre 2013, date anniversaire de la mort du dernier roi d’Abomey, vaincu par les colons français en 1894.
C’est donc « réunis individuellement », selon les mots d’une manifestante ironisant sur l’interdiction de s’introduire « en réunion » dans un musée, et sous la surveillance des équipes du Quai Branly, que le groupe est entré, pour observer les œuvres litigieuses.
Parmi ces objets, dont la restitution est demandée par le CRAN et l’ancien président du Bénin Nicéphore Soglo, figurent des pièces phares du Musée du Quai Branly, présentées à la fin du XIXe siècle comme des trophées de guerre au Musée d’ethnographie du Trocadéro : les célèbres statues anthropomorphes des rois d’Abomey, le trône monumental du roi Glélé, les récades royales ou encore les portes arrachées d’un des palais royaux, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1985, et entièrement restauré sous l’impulsion de l’organisme dans les années 90. Louis-Georges Tin s’est improvisé en guide conférencier, sous le regard sceptique des employés du musée, afin de présenter ces pièces, insistant bien sur la raison de leur présence - le « pillage colonial ».
Comme l’informe la signalétique du musée, ces biens ont été saisis par le général Dodds en 1894, après la défaite des troupes du roi Béhanzin, qui, ne voulant pas que ces objets sacrés se retrouvent entre les mains des colons français, avait mis feu à son palais. La communication du musée est tout à fait transparente sur ce point, qualifiant toutefois cette prise de possession de « butin de guerre », refusant le terme de « vol » utilisé par le CRAN – une nuance importante politiquement.
Entre la dénonciation du « manque de sérieux » du CRAN et de son initiative hâtive « sans vraie connaissance du dossier, du contexte historique de leur saisie, et de la complexité juridique de la question » du côté du musée, et les accusations de mauvaise foi de l’autre côté, le dialogue n’a pu avoir lieu.
Le président du CRAN a affirmé être en train de « travailler avec les autorités béninoises par le biais de l’ancien président Nicéphore Soglo », « Ce sont elles [les autorités], ajoute-t-il, qui doivent prendre la relève et exprimer officiellement la demande de restitution, parallèlement aux ayants-droit de la famille royale ».
Selon le Musée du Quai Branly, ces déclarations trahissent la nature de la démarche du CRAN, une démarche « opportuniste, une manipulation médiatique qui ne serait destinée qu’à faire parler de lui », et à réaliser un « coup de communication ». Le CRAN n’aurait pas qualité pour agir afin de demander la restitution des objets. Par ailleurs, l'ancien président Nicéphore Soglo serait l’un des principaux opposants au pouvoir en place, et les autorités actuelles n’auraient jamais émis le souhait d’instruire une telle demande en restitution.
Qu’importe, pour le CRAN « c’est le signe que la société civile se réveille et tente de faire bouger les choses pour se réapproprier son patrimoine », insinuant que les pouvoirs publics subissent probablement des pressions.
D’après le musée, le dialogue culturel entre les deux pays serait fructueux. Il a assuré collaborer pleinement avec les institutions culturelles béninoises, pratiquant des prêts d’œuvres à long terme de trente ans renouvelables. Pour ce qui est des objets d’Abomey, une vingtaine d’entre eux ont été prêtés au musée de la Fondation Zinsou à Cotonou, avec qui il collabore depuis 2006, et qui a ainsi pu bénéficier d’un partage de savoir faire en termes de conservation, pour le centenaire de la mort du roi Béhanzin.
Fédération d’associations françaises agissant pour la défense des droits et intérêts des communautés noires, le CRAN s’est donné pour but de faire respecter l’égalité et la diversité. Il a élargi son champ d’action en 2012, sous l’impulsion de Louis-Georges Tin élu en 2011, puisqu’un nouvel objectif – de taille – a été ajouté : les réparations liées à l’esclavage ou au colonialisme. Depuis, il livre bataille pour différentes causes susceptibles de réparations, et s’est autosaisi entre autres de la question moralement épineuse et juridiquement complexe de la restitution des biens culturels. Les objets d’Abomey lui ont semblé représenter « La » cause emblématique, pour leur histoire, et pour leur renommée publique, qui lui permettrait d’ouvrir une réflexion plus générale, d’autant qu’il rappelle que leur restitution avait déjà été demandée par Christiane Taubira en 2005, lors d’une question au gouvernement. Outre la restitution de ces biens, le CRAN demande aux autorités françaises de réaliser un inventaire national des « biens mal acquis ».
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Le CRAN manifeste au Quai Branly pour la restitution des « biens mal acquis »
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Abonnez-vous dès 1 €Louis-Georges Tin, président du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) devant le musée du Quai Branly, le 10 décembre 2013 - © photo Alexandra Houël pour LeJournaldesArts.fr