Les maisons de ventes doivent affronter les pressions des autorités chinoises pour récupérer les objets volés lors du sac du Palais d’été. Devenue une cause nationale, la récupération de ces pièces passe par des solutions multiples qui obligent les marchands à composer.
L’annonce le 26 avril dernier par François-Henri Pinault d’offrir à la Chine les deux têtes de bronze de la fontaine zodiacale de l’Ancien Palais d’été (Yuanming Yuan) a eu son petit effet. Tant en Chine où l’on a salué ce geste « comme un témoignage de l’amitié envers le peuple chinois et une contribution à la restitution de vestiges spoliés » qu’à Paris où l’on apprenait ainsi le rachat à Pierre Bergé de ces deux pièces, objets d’un déferlement de protestations chinoises et de menaces de procès lors de la vente aux enchères de la collection Yves Saint Laurent-Pierre Berger par Christie’s en 2009. Deux mois après les avoir acquises pour 31,49 millions d’euros (frais compris), le milliardaire Cai Mingchao annonçait qu’il n’honorerait pas son achat. Une manière de faire acte d’allégeance vis-à-vis de l’Administration chinoise du patrimoine culturel, pour ce directeur d’une maison de vente aux enchères à Xiamen et expert auprès du Fonds des trésors nationaux, une fondation chargée de racheter les œuvres d’art chinoises détenues à l’étranger. Avec ce cadeau, Pinault père et fils veulent s’attirer les bonnes grâces des autorités chinoises, au moment où le groupe de luxe et Christie’s veulent se développer en Chine.
Désormais, chaque mise en vente d’un objet provenant de l’Ancien Palais d’été provoque un émoi en Chine. Ainsi en novembre dernier, la maison Bonhams a été confrontée à une levée de bouclier de la presse chinoise lors de l’annonce de la mise aux enchères d’un vase suspendu en jade de l’époque Qianlong et d’un disque impérial en jade provenant du Yuanming Yuan. Deux jours avant la vente, le président de Bonhams Asie, Colin Sheaf, annonçait dans un communiqué le retrait du lot en précisant qu’il n’y avait « jamais eu d’intention d’offenser quiconque ». Excuse publique d’une maison de ventes qui veut assurer le bon développement de son département Art chinois à Londres et de celui de ses bureaux à Hongkong et à Beijing en pleine expansion.
Réappropriation nourrie par le nationalisme
« La récupération des objets de l’Ancien Palais d’été est une idée fixe relativement récente en Chine », explique l’historien et journaliste Bernard Brizay, auteur de l’ouvrage Le sac du palais d’été, seconde guerre de l’Opium (édition du Rocher), traduit en chinois en 2005 et grand succès commercial porté par la propagande. « Contrairement au Japon engagé depuis bien plus longtemps – trente, quarante ans — dans la récupération de ses biens spoliés, elle remonte aux années 1990-2000, mais surtout 2000. Et elle se concentre essentiellement sur les joyaux des résidences des empereurs de la dynastie Qing. » « Pour comprendre la cristallisation sur le retour en Chine des objets du Yuanming Yuan, la notion de nationalisme est fondamentale », précise de son côté un ancien diplomate en poste en Chine. « C’est le nationalisme qui fait aujourd’hui le lien entre les gens, plus le communisme. De fait, l’essor économique exponentiel de ce pays s’est accompagné d’un retour à la tradition et d’une réappropriation du patrimoine dispersé de par le monde, évalué pour l’Ancien Palais d’été à plus d’un million de pièces. Une réappropriation toutefois partielle quand on se réfère au patrimoine construit en grande partie détruit sous l’œil indifférent de la plupart des Chinois », note-t-il.
La récupération des pièces du Yuanming Yuan est devenue en vingt ans une cause nationale dont se sont emparés les réseaux sociaux, plus que les instances dirigeantes du pays qui n’interviennent jamais directement. « L’État chinois ne préempte pas les œuvres de son patrimoine lorsqu’elles passent en vente », souligne l’expert Thierry Portier. « L’Institut du Yuanming Yuan lui-même n’a aucun pouvoir en la matière », indique Bernard Brizay. « Il a uniquement la mission de repérer les objets. Il y a trois ans, il a ainsi envoyé une mission aux États-Unis pour tenter d’identifier dans les musées ce qui provenait de l’Ancien Palais d’été. »
Des initiatives privées
La récupération des biens provenant des pillages successifs de l’Ancien Palais d’été emprunte donc d’autres voies. En premier lieu celle du China Poly Group fondé en 1993 par l’Armée populaire de Libération dont les activités concernent aussi bien l’énergie, l’immobilier que le commerce des armes ou le secteur culturel. Sa filiale Poly International Auction, une maison de ventes créée en 2005 a ainsi pour mission « de retrouver, racheter et ramener en Chine des antiquités chinoises dispersées de par le monde. »
Avant cela, le groupe Poly était déjà intervenu pour racheter sur le marché d’Hongkong des pièces venant de l’Ancien Palais d’été. En 2000, il rachetait ainsi les têtes de buffle, du tigre et du singe de la fontaine du Yuanming Yuan, pièces depuis exposées au Poly Art Museum ouvert en 1998 à Beijing. La même année, l’homme fort des casinos de Macao, Stanley Ho, achetait de son côté la tête de porc qu’il offrait au gouvernement chinois. De tels gestes émanant d’hommes ou de femmes d’affaires chinois ne sont pas rares.
Il est cependant difficile d’établir une cartographie fine des acheteurs chinois. Entre l’administration d’État du patrimoine, le fonds des Trésors nationaux et autres fondations créées en Chine pour la sauvegarde du patrimoine, les maisons de ventes chinoises, les experts et les particuliers chinois, ils sont nombreux à se positionner. Y compris en France où Bernard Gomez a fondé en 2004 l’Association pour la Protection de l’art chinois en Europe (Apace), mandatée « par les ministères des gouvernements du Shaanxi, du Gansu, de Beijing (Poly Art Museum) pour la vérification, les recherches d’identification du patrimoine et la restitution des pièces détournées illégalement à la République populaire de Chine ». Bernard Gomez, expert à Drouot, est peu apprécié par ses confrères experts en art d’Extrême-Orient. Ses interventions auprès d’Artcurial en novembre dernier, au nom de l’Apace, avant la vente d’un cachet impérial de la bibliothèque privée des empereurs Qianlong et Jiaquing, à vingt kilomètres de l’Ancien Palais d’été, ont surpris la maison de ventes, comme la campagne de presse en Chine particulièrement virulente et l’avalanche de réactions sur Internet. Les propositions qu’il a faites à son P.-D.G., Nicolas Orlowski, de racheter la pièce pour 500 000 euros pour le compte des mandataires de l’Apace, ont reçu un non catégorique de la SVV au regard des règles déontologiques de la profession. L’ambassade de Chine en France préfère garder le silence quand on la questionne sur les liens entre les autorités chinoises et Bernard Gomez dans la vente d’Artcurial ou de Christie’s, et plus généralement sur le rôle de l’Apace.
En vingt ans, le marché de l’art d’Extrême-Orient a flambé, obligeant les marchands à composer. Ainsi Artcurial annonçait en février dernier, à la surprise générale, l’annulation de la vente du cachet impérial chinois adjugé le 17 décembre 2012 à 1,12 million d’euros (frais inclus). Raison invoquée : « l’extrême complication de cette vente et l’émoi qu’elle avait suscité. ». Ce que confirme à nouveau aujourd’hui, Nicolas Orlowski : « il nous est en effet apparu plus judicieux une fois que l’adjudication a été faite, de demander à l’acheteur et au vendeur de bien vouloir annuler la vente ». Judicieux est bien le terme lorsque l’on a des ambitions pour son tout jeune département d’Art d’Asie sur le marché des antiquités chinoises, ainsi que pour sa représentation à Pékin.
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La chasse aux objets du Palais d’été en Chine
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Abonnez-vous dès 1 €Tête de lapin, provenant du zodiaque de l'ancien Palais d'été des empereurs chinois, bronze, ancienne collection Yves Saint-Laurent – Pierre Bergé. Photo D.R.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : La chasse aux objets du Palais d’été en Chine