PARIS
Restitution. C’est l’autre « grand débat », qui récolte moins d’audience mais dépasse les préoccupations hexagonales.
Plus les bouches s’ouvrent, plus les conditions à remplir par les musées afin d’appliquer au mieux la décision du président Macron de rendre à des États africains des objets, présents dans les collections publiques françaises après leur pillage, semblent complexes, et ceci bien au-delà de ce qu’avaient pu appréhender des personnes dotées de bonnes intentions.
Le directeur de l’Institut national d’histoire de l’art (Inha), Éric de Chassey, regrettait que les historiens de l’art se fassent peu entendre, alors que leur parole était « une vraie nécessité ». Il a donc judicieusement proposé pour l’Inha de participer à la « Nuit des idées 2019 », le 31 janvier, sous la forme d’une soirée réunissant chercheurs, conservateurs, artistes pour débattre de « la restitution des objets d’art non occidentaux dans le monde ».
Les échanges ont montré à quel point la discussion ouverte par le rapport rédigé par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, remis fin novembre 2018 au président de la République et motivant sa décision, était salutaire. Les mentalités dans les musées occidentaux doivent être décolonisées. Ainsi, seul le Musée Grassi d’ethnologie à Leipzig (en Allemagne) présente des cartels rendant compte des conditions de la collecte des objets, constatait Philippe Dagen (université Paris-I, Panthéon-Sorbonne). « La biographie des objets manque», enchaînait l’historien de l’art Romuald Tchibozo (Bénin), se réjouissant de la promesse du retour des statues provenant du sac d’Abomey (1892), conservées actuellement au Musée du quai Branly, à Paris. Cette réexpédition permettrait enfin aux jeunes artistes du Bénin de connaître la création des générations précédentes.
Mais les termes du débat se révèlent mal posés, un amalgame s’est instauré entre collecte ethnologique, butin de guerre coloniale, objet volé, acheté, échangé, donné, commandé… Des critères esthétiques occidentaux privilégient la sélection d’œuvres, alors que d’autres objets sont beaucoup plus importants pour les non-Occidentaux. Maureen Murphy (université Paris-I, Panthéon-Sorbonne) rappelait que « la majorité des objets était sortie après les indépendances ».Éric Jolly (CNRS) pointait que, parmi les seize objets à rendre au Mali, deux seulement avaient été volés. Il déplorait surtout que la liste établie par le rapport Sarr-Savoy cible quinze masques, dont treize de l’ethnie Dogon, exposés au Quai Branly mais aucun objet archéologique. « Ce sont les Occidentaux, les ethnologues, les écrivains et le marché qui ont valorisé ces masques, relève l’anthropologue. Nous allons rendre aux Africains ce qui intéresse les Occidentaux. » Selon lui, ces masques ne sont pas nécessaires au Musée national du Mali (Bamako) pour combler des lacunes de sa collection.
La soirée s’était ouverte par la projection de la vidéo The Column, d’Adrian Paci. Ayant dû fuir, en 1997, les violences en Albanie pour se réfugier en Italie, l’artiste a lui-même subi un exil. Sa vidéo en est une métaphore. Elle montre l’émigration et la métamorphose d’un bloc de marbre monumental. Extrait d’une carrière en Chine, le bloc est sculpté par des artisans chinois pendant les vingt-cinq jours de son transport sur un cargo pour prendre la forme d’un archétype culturel occidental, une colonne antique, grecque ou romaine. Expédiée jusqu’en France, cette copie parfaite a ensuite été montrée dans le jardin des Tuileries, lors de l’exposition de l’artiste au Jeu de paume, en 2013. « À quel monde appartient alors cette colonne ? », a demandé Éric de Chassey à Adrian Paci, lequel lui rétorquait que c’était justement « cette non-appartenance qui l’avait intéressé ». Cerise sur la complexité de l’identité, l’artiste confiait que la dite œuvre, ayant été endommagée lors de son déchargement, avait dû être traitée, avant exposition, par des restaurateurs… de nos monuments nationaux. L’universel.
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Le rapport Sarr-Savoy au pied de la colonne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Le rapport Sarr-Savoy au pied de la colonne