En région, les lieux d’art financés par les collectivités territoriales sont parfois malgré eux des enjeux politiques.
France. Avant l’été, l’annonce de la démission de Jean-Charles Vergne a suscité la stupéfaction générale. Le directeur du Fonds régional d’art contemporain [Frac] d’Auvergne se réjouissait quelques semaines auparavant de l’ouverture, prévue à la rentrée, de la Halle au blé. Racheté en 2018 par la Région, ce bâtiment entièrement réaménagé devait accueillir le Frac et lui offrir davantage de superficie, avec notamment la création d’un restaurant. Mais, le report de l’inauguration à 2025, ainsi que l’ambition affichée par le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, d’y programmer « des expositions d’envergure internationale », laissent supposer que le conseil régional a pris la main sur ce projet. La Région, qui finance ce nouveau lieu clermontois à hauteur de 20 millions d’euros, en a ainsi modifié les plans d’aménagement, afin d’agrandir les surfaces d’exposition, au détriment des futures réserves du Frac. Celles-ci seront externalisées, selon Brice Hortefeux. Le président de la Commission d’aménagement territoriale de la Région explique que « l’idée est d’organiser plus massivement des expositions de haut niveau, en partenariat avec le Frac. Laurent Wauquiez s’intéresse énormément à l’art. Il veut accueillir à Clermont des artistes reconnus ». À titre d’exemple, l’élu cite volontiers le Doyenné – espace d’art moderne et contemporain –, à Brioude, et l’exposition consacrée en 2022 par ce centre d’art à Pablo Picasso. « Jean-Charles Vergne était en poste depuis vingt-sept ans au Frac, un quart de siècle !, souligne Brice Hortefeux. Il a souhaité aller vers d’autres projets. » L’intéressé, joint par courriel, refuse pour l’heure de commenter son départ.
Ce n’est pas la première fois qu’un lieu d’art contemporain devient un enjeu politique en région. En 2021, le non-renouvellement de Nicolas Bourriaud du Mo.Co [Montpellier Contemporain], entité multisite créée avec l’aval du maire de l’époque Philippe Saurel, pour laquelle il briguait (mollement) un deuxième mandat, avait ainsi fait pas mal de bruit. On avait pu remarquer alors que le critique d’art n’était pas dans les meilleurs termes avec le nouvel édile, Michaël Delafosse (maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole), tandis que Numa Hambursin, son successeur à la tête du pôle culturel montpelliérain, avait davantage la cote.
On se souvient également de la stupéfaction provoquée par la mise à l’écart de Véronique Souben au moment où celle-ci postulait à la tête du Frac Normandie, né de la fusion du Frac de Rouen, qu’elle dirigeait, et de celui de Caen. Alors même que le nom et le bilan de la directrice semblaient faire l’unanimité, contre toute attente, c’est la candidature d’un outsider, Vincent Pécoil, qui avait été retenue. L’explication en était, selon un connaisseur du dossier, que : « La Région voulait quelqu’un de nouveau, pour faire table rase ».
La faible contribution de l’État dans le budget des centres d’art, principalement abondé par les contributions des collectivités, conduit ces dernières à se montrer plus regardantes sur le contenu. Ainsi à Saint-Nazaire, la municipalité a annoncé, en 2022, son intention d’interrompre les expositions d’art contemporain organisées au centre d’art contemporain le LIFE par le Grand Café, en régie directe de la Ville. Et ce, malgré le label « Centre d’art contemporain d’intérêt national » décerné au Grand Café en 2018 sur le principe d’un projet artistique et culturel incluant l’ancienne base sous-marine. En 2022, « Bruit Rose », l’installation de Stéphane Thidet avait battu des records de fréquentation avec 47 000 visiteurs. Cet été, la communauté d’agglomération avait conçu, avec l’aide d’une agence événementielle, « Transitions XXL » [voir ill.], un parcours immersif à la découverte « des aventures industrielles du territoire nazairien ». Le coût de la production est estimé à 700 000 euros. Fin août, « Transition XXL » avait attiré moins de 20 000 visiteurs au LIFE.
Est-ce dû au fait que les lieux d’art contemporain, à la recherche d’un nouveau modèle, sont remis en question ? « Le grand changement s’est opéré quand l’État, qui définissait les lignes, est devenu moins audible, que sa parole a été moins écoutée », analyse Xavier Franceschi. L’ancien directeur du Frac Île-de-France a jeté l’éponge en septembre 2022, fatigué d’avoir à se battre continuellement pour défendre ses budgets. « Globalement, les collectivités n’ont pas de programme si ce n’est : élargir le public. Elles voudraient que l’on fasse beaucoup avec très peu. Et parce qu’ils financent, les élus veulent aussi parfois avoir leur mot à dire sur le contenu. Or cela relève davantage des gens dont c’est le métier. »
Il arrive cependant que le dialogue fonctionne. À Nice, où le Musée d’art moderne et contemporain [Mamac] va fermer pour travaux Hélène Guenin, sa directrice, se félicite que la rénovation du musée bénéficie du plan de réaménagement urbain engagé par la mairie. Inscrit sur la coulée verte, le bâtiment se trouvera environné par un parc paysagé qui valorisera son accès. Mais que se passera-t-il si, en 2026, le maire actuel n’est pas réélu ? Et si son successeur prend ombrage de ce projet emblématique d’une politique qu’il a combattue ? Se pourrait-il que le Mamac fasse alors les frais d’une rivalité discutée sur la place publique ? Hélène Guenin préfère pour l’heure se concentrer sur le chantier qui l’attend.
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Lieux d’art et collectivités locales, un dialogue parfois compliqué
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°617 du 22 septembre 2023, avec le titre suivant : Lieux d’art et collectivités locales, un dialogue parfois compliqué