MONDE
Le devoir de mémoire des musées envers les victimes est relativement récent. En regard de l’histoire, il a aussi un rôle culturel et pédagogique qui s’avère fondamental pour lutter contre racisme et discrimination.
Mémorial. En avril dernier Emmanuel Macron a confirmé la création à Paris d’une Fondation pour la mémoire de l’esclavage, un projet lancé sous François Hollande en 2016. Aboli en avril 1848, l’esclavage se pratiquait dans le premier empire colonial français (Caraïbes et Amériques). Deux lieux de commémoration de l’abolition de l’esclavage existent déjà en France : le mémorial ACTe en Guadeloupe, depuis 2015, et le mémorial de Nantes créé en 2012. Quelques associations et personnalités appellent à la création d’un musée pour compléter cette fondation, mais le sujet fait débat même dans les milieux des études postcoloniales.
Pour Françoise Vergès, qui a présidé le Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage de 2009 à 2012, « un musée devrait être consacré à l’esclavage colonial et non à toutes les formes d’esclavage, et à la colonisation esclavagiste ». Elle estime qu’il faudrait « un énorme effort de conception pour montrer la multi-territorialité des quatre siècles de traite et d’esclavage ». Il y a selon elle un lien entre ce devoir de mémoire et la société contemporaine : « Comment faire un musée qui parle aussi du présent, la manière dont ce passé continue de résonner (racisme, discriminations) ? »
En revanche, Anne Lafont, historienne de l’art et des cultures visuelles du monde moderne, ne voit pas la nécessité d’un musée de l’esclavage : « il faut d’abord retravailler toutes les collections existantes dans les musées pour faire émerger une histoire de l’esclavage dans les arts ». Elle regrette par exemple que le Louvre n’ait pas fait « un travail de fond sur les nombreuses figures noires présentes dans les toiles de Géricault ou Véronèse ». Car les musées français regorgent d’œuvres et d’objets des XVIIIe et XIXe siècle liés à l’esclavage : c’est le cas dans des villes comme Nantes ou La Rochelle, qui pratiquaient le commerce triangulaire. Le Musée du Nouveau monde à La Rochelle mène une politique active d’acquisition, et porte un soin attentif aux cartels dans les salles consacrées à l’esclavage. Au Musée d’histoire de Nantes Krystel Gualde, chargée du développement scientifique, explique une démarche similaire : « les visiteurs doivent se méfier de ce que ces œuvres et objets portaient en eux. Il faut remettre en question la hiérarchie des visions de l’autre ». Ainsi, pour deux tableaux de 1753 représentant un couple d’armateurs nantais avec leurs esclaves, les cartels précisent-ils certains détails : la tenue et la coiffure des femmes noires trahissent leur statut, car elles sont imposées par le système qui régit l’apparence d’un esclave. Comme le précise Krystel Gualde, « le public ne connaît pas toujours l’histoire de Nantes et le fait que la ville était un port négrier. L’histoire de l’esclavage est entré récemment dans les manuels scolaires ». Si le musée collabore avec des chercheurs apparentés aux études postcoloniales et à l’histoire globalisée, cette dernière souligne le rôle central des musées dans la transmission des connaissances : « Le temps de passage des connaissances vers le grand public est très long par rapport aux recherches universitaires, et c’est aux musées de raccourcir ce temps. »
Les grands musées français semblent, eux aussi, conscients de l’importance du sujet, puisque le Musée d’Orsay présentera en mars 2019 l’exposition « Le modèle noir de Gericault à Matisse ». Les œuvres retraceront la construction des identités noires hantées par le souvenir de l’esclavage, un sujet hautement politique.
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L’esclavage gravé dans l’histoire de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : L’esclavage gravé dans l’histoire de l’art