Le taux de réduction d’impôt sur les sociétés très important accordé aux entreprises qui acquièrent un « trésor national » pour le compte de l’État ne suffit pas assez à motiver les mécènes.
Assis sur un canot, les mains tenant fermement deux rames, un homme endimanché et coiffé d’un chapeau haut-de-forme navigue au rythme paisible de l’Yerres [voir ill.]. Peinte par Gustave Caillebotte en 1878, cette scène bucolique a été reconnue comme « trésor national » en 2020, protégeant l’œuvre de l’exportation pendant trente mois. Répondant à un avis d’appel au mécénat d’entreprise lancé par l’État en 2022, afin d’acquérir la toile au bénéfice du Musée d’Orsay, le groupe LVMH a permis au chef-d’œuvre impressionniste de rester définitivement en France, grâce à un chèque de 43 millions d’euros. La part de l’État dans cette acquisition pourrait toutefois être très majoritaire : un dispositif fiscal spécifique aux « trésors nationaux » permet de déduire 90 % du don de l’impôt sur les sociétés, dans la limite de 50 % de la somme due au Trésor public.
Selon la déclaration fiscale de l’entreprise mécène, cette réduction peut faire de l’État le premier acquéreur, sans que toutefois rien ne puisse être entrepris sans un geste déclencheur du secteur privé. L’acquisition de La Partie de bateau, aussi nommé Canotier de Caillebotte permet au groupe LVMH de rappeler son action en dehors de sa fondation : « C’est un geste extrêmement fort : jamais un “trésor national” de ce montant et de cette importance n’a été acquis, souligne Jean-Paul Claverie, conseiller mécénat du groupe. Cela démontre que le mécénat de LVMH n’est pas seulement concentré sur l’action de la Fondation Louis Vuitton et, au contraire, s’est affirmé sur toute une série d’opérations. »
Inenvisageable sans l’aide de mécènes, l’acquisition de « trésors nationaux » est pourtant une priorité pour les grands musées nationaux. « Le Louvre doit tout faire pour que ces œuvres restent dans le patrimoine français, confirme Yann Le Touher, sous-directeur du mécénat, de la marque et des partenariats commerciaux du musée. Mais cela devient plus difficile. Malgré la réduction fiscale, les œuvres que cible le Louvre sont de plus en plus onéreuses. Le dispositif est peu connu des entreprises, et les montants peuvent parfois faire peur », regrette-t-il.
En effet, la très grande générosité du dispositif ne porte pas toujours ses fruits. D’ailleurs, alors que l’élégant canotier a attiré l’intérêt du groupe dirigé par Bernard Arnault, une toile tout aussi précieuse de l’artiste impressionniste, et qualifiée de « trésor national » au même moment, demeurera dans des mains privées. Le Déjeuner, représentation grinçante de la société bourgeoise par Caillebotte, n’a, elle, pas fait l’objet d’un avis d’appel au mécénat d’entreprise, et n’a pas été acquis par l’État. Un échec qui s’ajoute à une longue liste de chefs-d’œuvre : Le Porte-Étendard de Rembrandt, une Dérision du Christ de Cimabue, le Caravage retrouvé à Toulouse, ou un évangéliaire du XIIe siècle, qui a rejoint début 2023 les collections du J. Paul Getty Museum.
Les données de l’administration fiscale démontrent la grande irrégularité du dispositif. Alors qu’en 2016, année faste, quarante-neuf entreprises avaient bénéficié de 86 millions d’euros de réduction d’impôt grâce à l’acquisition de « trésors nationaux », ce chiffre tourne ensuite autour de la dizaine de millions, pour descendre à 6 millions d’euros de réduction en 2022. En 2023, le projet de loi de finances affiche une prévision de 39 millions d’euros, soit 90 % de la somme débloquée par LVMH pour l’acquisition du Musée d’Orsay.
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Les « Trésors nationaux » font du surplace
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : Les « Trésors nationaux » font du surplace