LONDRES / ROYAUME-UNI
Si Léonard de Vinci est l’un des peintres les plus célèbres, son travail est encore largement méconnu d’un point de vue scientifique. Pour répondre à ce paradoxe, un projet concerté autour de l’intégralité de son œuvre peint va être lancé pour faire passer les travaux du maître sous le spectre des technologies modernes.
LONDRES - Dans leur grande majorité, les œuvres de Léonard de Vinci n’ont jamais été examinées par l’œil des technologies modernes d’expertise. Initié par l’historien de l’art Martin Kemp, professeur à Oxford, le “Projet universel Léonard de Vinci” entend justement répondre à ce manque en analysant de manière scientifique l’ensemble du corpus peint par le maître. “Même la Joconde n’a jamais subi d’examen technique approfondi”, déclare l’universitaire. La publication des résultats devrait coïncider avec une série d’expositions prévues pour 2006 en Europe, principalement en Angleterre et en Italie.
Pour l’heure, l’équipe du projet occupera à partir du mois de mai des bureaux au sein du College of Art and Design de Londres. Son financement est déjà en partie assuré par le mécénat de Bill Gates – le fondateur de Microsoft a acquis le Codex Leicester pour 31 millions de dollars (28,8 millions d’euros) en 1994 – mais l’équipe espère une labellisation rapide du projet par le Conseil de l’Europe. Ce soutien apporterait non seulement des fonds mais aussi une réelle crédibilité à l’entreprise scientifique.
Semblable au projet de recherche sur Rembrandt, basé à Amsterdam, cet effort international, qui entend examiner de manière systématique l’œuvre d’un seul artiste, est encore inhabituel. Il est d’autant plus souhaitable que l’œuvre peint de Léonard suscite nombre d’interrogations et de dissensions.
Si l’on inclut les travaux inachevés et ceux réalisés en collaboration avec d’autres artistes, le nombre des œuvres attribuées à Léonard varie entre une et deux douzaines selon les chapelles. Le professeur Martin Kemp se limite à vingt-deux tableaux, mais d’autres experts occupent une position encore plus réservée. Ainsi, Carmen Bambach, commissaire de l’exposition de dessins présentée au Metropolitan Museum de New York avant de venir au printemps au Louvre, n’en reconnaît que quinze. La Belle Ferronière du Musée du Louvre, La Vierge allaitant du Musée de l’Ermitage et la Vierge aux Rochers de la National Gallery de Londres sont trois exemples de pièces pour lesquelles la question de la contribution de Léonard est posée. Tête de jeune fille de la Galleria Nazionale de Parme, Tobias et l’ange et Vierge à l’Enfant avec une grenade, en collaboration avec Verrocchio, tous deux à la National Gallery of Art de Washington, ont quant à eux recueilli l’approbation d’historiens d’art influents, mais ne figurent pas sur la liste de Martin Kemp.
Si des attributions seront sûrement remises en cause, le Projet universel Léonard de Vinci veut avant tout revenir sur la technique de l’artiste : la réflectographie à infrarouge permettra d’observer les dessins préparatoires sous-jacents à la surface peinte, tandis que les examens radiographiques favoriseront une analyse des couches picturales. L’étude de deux versions de la Vierge aux rochers, celle du Musée du Louvre et celle de la National Gallery de Londres, devrait quant à elle éclairer les historiens qui soupçonnent le travail d’assistants sur le tableau londonien. Une enquête sera également menée sur les empreintes digitales présentes sur plusieurs tableaux, dont Saint Jérôme (Vatican), La Vierge aux rochers (National Gallery de Londres), Portrait de Ginevra de’ Benci (National Gallery of Art de Washington) et Femme à l’hermine (Musée National de Cracovie). L’hypothèse selon laquelle Léonard réalisait son fameux smufato en utilisant ses mains et ses doigts sur la peinture encore humide sera enfin vérifiée. Le laboratoire d’art de Florence, l’Opifico delle Pietre Dure, dirigé par le Dr Cristina Acidini se propose déjà de conduire les tests scientifiques, mais Martin Kemp souhaite que les tableaux ne soient déplacés qu’en cas de nécessité : “La meilleure solution serait d’examiner chaque œuvre sur place, en amenant les spécialistes et l’équipement.” Le professeur devra néanmoins user de toute sa diplomatie pour obtenir l’accord des institutions. Le Musée du Louvre, qui conserve un groupe important de tableaux, dont La Joconde, reste encore à convaincre.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Léonard de Vinci mis en examen
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : Léonard de Vinci mis en examen