Apprenant que le Musée des Offices allait restaurer L’Adoration des Mages, un tableau inachevé de Léonard de Vinci, l’historien de l’art James Beck a adressé une lettre ouverte aux responsables de l’institution leur demandant de renoncer à cette « folie ». Sir Ernst Gombrich s’est joint à la trentaine de scientifiques qui le soutiennent déjà.
FLORENCE - Laissée inachevée à cause du départ de Léonard pour Milan, L’Adoration des Mages (1481-1482) n’en demeure pas moins une œuvre fondamentale, qui renouvèle radicalement la représentation de cette scène. Cet inachèvement, dont l’intérêt aussi bien esthétique qu’historique n’est pas à démontrer, rend toute restauration hasardeuse, voire “dangereuse”. C’est l’avis de James Beck, président de ArtWatch International. Professeur à Columbia University et spécialiste de la Renaissance italienne, il est l’auteur avec Michael Daley d’Art et restauration, un réquisitoire implacable sur les errements constatés lors d’opérations de plus en plus nombreuses. Il avait contribué à alerter l’opinion internationale sur le nettoyage brutal de la chapelle Sixtine. Il vient d’adresser une lettre ouverte à Antonio Paolucci, surintendant des biens artistiques de Florence, et à Anna Maria Petrioli, directrice du Musée des Offices. Ces derniers sont sommés de surseoir à toute intervention sur L’Adoration des Mages en attendant qu’ait eu lieu un véritable débat public sur la nécessité et les moyens d’une telle restauration.
Interrogée par nos correspondants de Il Giornale dell’Arte, Anna Maria Petrioli s’est dite surprise de cette initiative, et a expliqué qu’il s’agissait de la troisième étape d’un programme sur les œuvres de Léonard, l’Annonciation et le Baptême du Christ, le tableau de Verrocchio auquel il a participé. Contrairement à ce qu’elle affirme, James Beck rappelle qu’il n’a jamais approuvé ces interventions. Concernant l’Annonciation, il s’interroge encore sur la nécessité de la restaurer et dénonce une “méthodologie bizarre”. Face à L’Adoration des Mages, peint à l’huile et au bistre sur un panneau de bois, son jugement est sans appel : “Ils ne doivent pas y toucher. Le risque est trop grand.” L’irrégularité de la couche picturale – avec des parties plus ou moins épaisses, d’autres simplement esquissées à la brosse –, condamne tout restaurateur à une mission impossible. Le vernis fait corps avec une matière extrêmement fragile et légère, qui serait gravement menacée en cas de dévernissage ou d’allègement du vernis – selon l’euphémisme en vigueur. Par ailleurs, aucune urgence ne semble justifier une restauration. En France, le Journal des Arts avait suscité en 1998 le débat sur la possibilité de restaurer la Joconde (lire le JdA n°65, 28 août 1998). Le Musée du Louvre, par la voix de Jean-Pierre Cuzin, avait fait savoir que, le tableau étant dans un bon état de conservation, toute intervention était inopportune (il ne serait pas inutile que ces sages préceptes s’appliquent à l’ensemble des collections). De plus, selon lui, la Joconde était admirée et admirable malgré le jaunissement. “Un vernis jauni n’est pas le pire des péchés”, ironise James Beck, qui rappelle dans sa lettre la position du Louvre. Cette fois, il a bon espoir d’influencer les Italiens, et une trentaine d’historiens de l’art l’ont déjà rejoint : Hans Belting, Mina Gregori, Carlo Pedretti, John Spike, Leo Steinberg, David Rosand, etc. Last but not least, Sir Ernst Gombrich lui a également apporté son soutien, en qualifiant le projet des Offices de “folie”. Après-guerre, il avait été partie prenante de la “querelle des vernis”, quand les restaurations radicales pratiquées par la National Gallery de Londres avaient suscité de violentes controverses dans la communauté scientifique. Le combat reste d’actualité.
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On achève bien Léonard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : On achève bien Léonard