De 1938 à 1947, Paris est ébranlée par les soubresauts de l’Histoire. La guerre, l’Occupation, la Résistance puis la Libération surviennent, amenant leurs lots de changements et de ruptures.
L’exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), « L’Art en guerre », s’attache à comprendre les voies de la création artistique durant ces heures sombres. Comment évoquer ce « cauchemar sinistre et glacé » selon les termes de Roland Barthes, cité dans le catalogue ? L’ouvrage, publié sous la double direction de Laurence Bertrand-Dorléac, spécialiste de la période, et de Jacqueline Munck, conservatrice en chef du patrimoine au MAMVP, fait la part belle aux illustrations, de grande qualité. Le découpage en séquences du parcours de l’exposition a été repris, agrémenté de courts textes à l’écriture simple et fluide.
Des « Prémonitions surréalistes » de 1938 aux « Décompressions » de la Libération, les artistes sont ballottés entre exil, silence, internement, Résistance. Les événements politiques forcent les créateurs à s’isoler ou à s’allier, à collaborer ou à refuser. Durant ces années, jamais Picasso ne cesse de peindre, c’est même, comme le note Marie-Laure Bernadac, une « période d’intense créativité », pendant laquelle il se lance dans l’assemblage d’objets trouvés, remplit ses carnets de dessins apocalyptiques. Hans Bellmer, interné au camp des Milles (Bouches-du-Rhône), exécute des portraits d’un classicisme acéré, grave : un « art des surfaces, des enveloppes ».
La deuxième partie de l’ouvrage, en forme d’Abécédaire, est sans doute la plus intéressante. Près de 200 notices confiées aux meilleurs spécialistes, historiens et historiens de l’art synthétisent les notions, les dates clés, les biographies des artistes et des personnages pivots. Michel Winock, Éric de Chassey, Rémi Labrusse, Pascal Ory, Pierre Georgel et Agnès de Gouvion Saint-Cyr, pour n’en citer que quelques-uns, proposent des textes éclairants. On y apprend ainsi que le Musée de l’Homme abrita le réseau qui fonda les numéros des carnets « Résistance » avant d’être dénoncé. Des personnalités tombées dans un relatif oubli sont mises à l’honneur, à l’image de Jean Paulhan, directeur de la prestigieuse Nouvelle Revue Française, mis à pied au bénéfice de Drieu La Rochelle. Paulhan profitera de ses « congés forcés » pour entrer en résistance et étudier les œuvres de Braque et de Dubuffet. L’accueil fait en 1942 à l’exposition à l’Orangerie du sculpteur allemand Arno Brecker, chantre de l’idéologie nazie, est réévalué à l’aune de son succès populaire et critique, longtemps amoindri par l’historiographie de l’après-guerre.
La synthèse est remarquablement accomplie, même si l’exercice peut laisser les amateurs d’essais scientifiques sur leur faim. Ce catalogue, à l’instar de l’exposition qu’il accompagne, fera sans doute référence.
L’Art en guerre, catalogue, sous la direction de Laurence Bertrand-Dorléac et Jacqueline Munck, Éd. Paris-Musées, 2012, 500 p., 39 €.
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L’art en temps de guerre
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : L’art en temps de guerre