Le marché de l’art coréen ne cesse d’accroître sa visibilité grâce à une stratégie culturelle dynamique d’exportation et à l’investissement de plusieurs conglomérats. Il s’impose notamment avec des artistes émergents.
Corée du Sud. K-drama, K-pop, K-food, K-beauty, et maintenant K-art. La Corée du Sud est devenue incontournable y compris dans l’art contemporain. Les artistes qui figurent encore parmi les records de vente appartiennent toujours au mouvement monochrome bien connu Dansaekhwa. En mai 2023, Lee Ufan a ainsi enregistré son record personnel avec From line (1978) (voir ill.) adjugé 1,5 million de dollars (1 390 000 €) chez Christie’s New York. Cependant, d’autres générations d’artistes contemporains gagnent de plus en plus en notoriété et en visibilité ces cinq dernières années. Les manifestations les mettant en avant, à l’initiative de galeries, du gouvernement ou de fondations d’entreprises, ne manquent pas.
Cet automne, la boutique Guerlain des Champs-Élysées accueille les œuvres de 17 artistes issus de plusieurs générations dans une exposition intitulée « Good Morning Korea, Au pays du matin calme ». Les miroirs de Kimsooja ont fait sensation plus tôt cette année à la Bourse de Commerce - Pinault Collection à Paris. Pendant les Jeux olympiques, une dizaine d’artistes émergents tournés vers l’art vidéo ont été présentés au Grand Palais éphémère. Mire Lee est devenue la plus jeune artiste à occuper avec son œuvre monumentale le Turbine Hall de la Tate Modern à Londres. À New York, Lee Bul a orné les niches de la façade du Metropolitan Museum of Art (Met) (voir ill.) de quatre nouvelles statues. « Aujourd’hui, plus de galeries françaises représentent aussi des artistes coréens », constate Marion Papillon, présidente du Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), sans pouvoir avancer de chiffres. Cela a d’ailleurs piqué sa curiosité et elle a effectué deux voyages professionnels en Corée.
Parmi les soutiens de taille à l’art contemporain de la Corée du Sud se trouvent depuis une vingtaine d’années les conglomérats. Ils cumulent musées à leur nom, fondations, partenariats avec des foires mais aussi mécénats de grands musées américains ou britanniques pour la plupart qui assurent une certaine visibilité des artistes coréens. Déjà sponsor de Frieze, le conglomérat LG a signé en juin 2022 un partenariat avec le Musée Guggenheim pour cinq ans afin de « rechercher, honorer et promouvoir les artistes travaillant à l’intersection de l’art et de la technologie ». En février dernier, Hyundai Motor Company annonce un partenariat de dix ans avec le Whitney Museum of American Art pour soutenir la « Hyundai Terrace Commission », une exposition annuelle sur les terrasses du musée. En Angleterre, l’entreprise est mécène exclusif depuis 2014 de l’événement annuel dans le Turbine Hall de la Tate Modern où Mire Lee est donc exposée en ce moment. C’est encore Hyundai qui a participé au financement du pavillon coréen de la Biennale de Venise qui présente une trentaine d’artistes coréens installés et émergents.
Pour clore cette liste non exhaustive, Samsung, lui, sponsorise Art Basel en Suisse et promeut au passage son téléviseur The Frame sur lequel des œuvres s’affichent en écran de veille. Partenaire depuis vingt-cinq ans du Met, la Samsung Cultural Foundation s’est associée, l’année dernière, à la Korea Foundation pour créer le poste de conservateur pour l’art coréen. Résultat : l’exposition « Lineages: Korean Art at The Met »mêlant art traditionnel et contemporain, avec à sa tête, la conservatrice Eleanor Soo-ah Hyun nouvellement nommée. La Korea foundation qui dépend du ministère de la Culture a pour objectif clair de « promouvoir et maintenir »de nouveaux postes de conservateurs de l’art coréen dans les principaux musées internationaux en leur apportant un financement sur cinq ans. Après le Met, The Cleveland Museum of Art et le Smithsonian’s National Museum of Asian Art ont ainsi été choisis.
D’autres professionnels de l’art jouent aussi ce rôle de ponts entre la Corée, l’Europe et les États-Unis surtout. Comme Hyunsoo Woo, directrice adjointe des collections et des expositions au Philadelphia Museum of Art. Elle a orchestré en 2023 une exposition de 28 artistes représentant l’art coréen post 1989. Au Denver Art Museum, c’est Hyonjeong Kim Han qui remplit ce rôle.
Ce foisonnement d’expositions relève d’une stratégie d’exportation culturelle d’envergure appelée « hallyu »ou vague coréenne. Après la colonisation japonaise (1910-45), la guerre de Corée (1950-1953), la crise du pétrole dans les années 1970, puis la crise financière asiatique (1997), cette hallyu a pour but de revaloriser l’image du pays mais surtout de diversifier et stimuler son économie essentiellement basée sur son développement industriel et technologique tenu par des conglomérats.« La Corée est un petit pays. Il est donc difficile de maintenir l’écosystème uniquement sur ce marché restreint, explique Kim Soo-hyun, directrice du service des arts visuels et design au sein du ministère de la Culture à Sejong. De nombreuses politiques de soutien stratégique ont donc été déployées rapidement pour s’exporter à l’étranger. »Le ministère de la Culture coréen a été créé en 1990, puis les centres culturels, la Korea foundation en 1991, le premier pavillon coréen à la Biennale de Venise s’ouvre en 1995 ainsi que la Biennale de Gwangju (voir ill.). L’année suivante, la Corée est le pays invité de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) à Paris.
Dans les années 2000, l’engouement international pour la culture coréenne s’accélère. Avec son tube planétaire Gangnam style sorti en 2012, le chanteur Psy fait rayonner la Corée à sa manière, porté par le boom des réseaux sociaux. Le pays commence alors à tirer des bénéfices de sa politique culturelle. À Séoul, Hyundai Motor signe en 2014 un partenariat de dix ans avec le National Museum of Contemporary Art (MMCA) dans le but de valoriser de nouveaux talents coréens voués à percer hors du pays. Pendant cette décennie, certains artistes partent se former à l’étranger (Allemagne, Angleterre, France ou encore États-Unis) tout comme la deuxième génération de galeristes qui prend place et maîtrise davantage l’anglais. Ils promeuvent des artistes à l’international et sont les premiers à mettre en place la vente en ligne. Kukje Gallery, Hyundai Gallery et Gana Art notamment vont faire partie des premières à participer aux foires internationales. Cette année, Frieze Londres a accueilli trois fois plus de galeries coréennes qu’en 2018 et Frieze Masters cinq fois plus. « Ce n’est que dans les années 2000 que l’intérêt des collectionneurs internationaux sur les foires auxquelles nous participions s’est traduit en ventes, explique Eunjin Jung, directrice associée aux relations publiques chez Kukje Gallery. Une étape importante est ensuite franchie en 2015, lors de la 56e biennale de Venise. »
C’est l’année où l’exposition « Dansaekhwa »qui s’y tient marque un tournant. Organisée conjointement par la fondation belge Boghossian, la Kukje Gallery et la Tina Kim Gallery de New York, elle met en lumière ce mouvement coréen sur le marché occidental. Dès lors des galeries internationales s’installent à Séoul : Perrotin en 2016, Lehmann Maupin et Pace Gallery en 2017. Le marché coréen connaît aussi une nouvelle croissance avec des collectionneurs davantage intéressés par l’art international. Thaddaeus Ropac et Gladstone Gallery vont suivre en 2021, et David Zwirner en 2023 dans le sillage de Frieze qui arrive en 2022 à Séoul.
L’arrivée massive de galeries étrangères fait craindre une concurrence à certains. « Mais en réalité cela pousse les galeries coréennes à se développer, témoigne Valentina Buzzi, conservatrice italienne indépendante entre la Corée et l’Europe. Elle a récemment accompagné Lee Bae dans plusieurs projets, notamment à la Biennale de Venise. Par exemple, la Galerie 2 à Séoul a été l’une des premières à représenter de jeunes artistes en 2006 tels que Hyunsun Jeon. Aujourd’hui, elle est coreprésentée en France par la Galerie Lelong et Esther Shipper. Cette année, elle a reçu le prix de la Jean-François Prat Foundation et a été également sélectionnée par Guerlain pour son exposition à Paris. »
Pour Kim Soo-hyun, du ministère de la Culture : « Au début, les galeries et les artistes faisaient seuls des efforts pour s’implanter à l’étranger. Le gouvernement a commencé à y consacrer un budget et une vraie politique à partir de 2018. » Le Korea Arts Management Service (KAMS), une agence gouvernementale créée pourtant en 2006 pour participer à la circulation des arts coréens, multiplie dès lors les initiatives. Le Fund for Korean Art Abroad (FKAA) propose chaque année une subvention de 40 000 dollars (37 000 €) avec défraiements de coûts opérationnels pour des musées choisis sur candidature qui souhaitent exposer des artistes coréens. En six ans, 89 musées ont été aidés, principalement en Europe. Un autre programme permet à 185 galeries coréennes de bénéficier d’une aide sur les frais de transport ou de stands pour participer à des foires internationales et représenter leurs artistes. Chaque année, un comité de professionnels coréens et étrangers sélectionne dix artistes qui seront promus à l’international en leur assurant une visibilité médiatique notamment. Enfin, le KAMS profite de la venue de professionnels de l’art à Frieze et à la KIAF, pour leur organiser des visites d’ateliers d’artistes émergents ou intermédiaires.
En 2020 et 2021, l’hallyu bat son plein. Le film Parasite et la série « Squid Game » sont plébiscités mondialement, le groupe de K-pop BTS remplit les stades et s’invite à la tribune de l’ONU. Alors que les jeunes collectionneurs boostent le marché local post-covid, Frieze suscite l’intérêt général en s’installant en 2022 à Séoul, pour cinq ans. « Même si le marché coréen était déjà relativement important, l’arrivée de Frieze a redonné un coup de projecteur mondial et révélé une volonté coréenne de s’ouvrir plus à l’international », observe la galeriste Marion Papillon. En 2023, pour la première fois, une loi intitulée « Art Promotion Act » a été votée et doit apporter plus de transparence sur le marché. Cet été, le gouvernement coréen a également assoupli les restrictions à l’exportation d’œuvres d’art réalisées après 1946.
Malgré la visibilité mondiale accrue de son art contemporain, la Corée doit encore relever quelques défis pour imposer davantage ses artistes sur les marchés. Les acteurs internationaux veulent être présents en Corée et désormais représenter des artistes locaux à l’étranger. « Mais dans l’ensemble, la compréhension de la Corée reste encore très superficielle, constate la conservatrice Valentina Buzzi. Il est temps que la Corée soit comprise, apprise pour coopérer au mieux. » Plus de professionnels avertis doivent servir de ponts entre les cultures et les régions maintenant que la barrière de la langue s’estompe.
Afin de concurrencer les artistes mondiaux, certains de nos interlocuteurs déplorent le manque de créativité des jeunes artistes malgré une grande technicité. Marion Papillon y reconnaît une peinture « très identifiable, soit figurative, type manga, ou plus abstraite avec toujours une sensibilité et une ouverture d’esprit intéressantes ». Valentina Buzzi défend le foisonnement artistique de la scène coréenne qui reste jeune et a encore beaucoup à montrer.« Trop de gens qui ne connaissent pas l’art coréen l’associent encore aux très grands noms ou au mouvement Dansaekhwa. Mais il y a tant de diversité », martèle la conservatrice. Les représentants du KAMS insistent d’ailleurs pour que l’art coréen soit reconnu mondialement à l’égal des autres sans rester enfermé dans une labellisation « K-art ».
D’après nos interlocutrices du ministère, un budget de 20 millions d’euros était alloué cette année pour promouvoir l’art coréen à l’étranger dans son ensemble. Un nouveau plan stratégique sur cinq ans doit être dévoilé en cette fin d’année.
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L’art contemporain coréen à la conquête du monde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : L’art contemporain coréen à la conquête du monde