Si l’art contemporain coréen s’exporte davantage ces dernières années, c’est grâce à un marché national qui s’est consolidé progressivement jusqu’à exploser post-Covid mais tente aujourd’hui de se réguler.
Corée du Sud. Les gouttes d’eau du maître Kim Tschang-yeul (1929-2021), les grands coups de brosse de Lee Kang-so, un monochrome de Park Seo-bo (1931-2023), ou encore une sculpture tout en courbes de Kim Tae-sue. Ces œuvres ne décorent pas une galerie mais l’appartement luxueux des protagonistes de « Queen of tears » (La Reine des larmes), k-drama au succès phénoménal à la télé et sur Netflix cette année. Illustration parfaite de l’omniprésence de l’art contemporain coréen. En 1995, Le Monde remarque déjà cet engouement lors d’un reportage :« [Il] est partout, dans de nouveaux musées et de nouvelles fondations, dans des galeries et des entreprises, à Séoul, mais aussi dans les grandes villes du pays. » Est ainsi résumé l’écosystème coréen qui se développe dès les années 1980, porté par des acteurs publics mais aussi des conglomérats et des collectionneurs. Le pays bénéficie alors de la démocratisation, d’un développement économique, industriel et technologique rapide.
Si la scène artistique coréenne suscite un intérêt international croissant depuis les années 2010, son marché explose après la crise sanitaire du Covid-19. En 2021, les ventes d’art sont quasi multipliées par trois. La Corée devient, en 2022, le 5e marché d’art derrière les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et la France, selon le rapport annuel d’Art Basel et UBS. Le marché de l’art contemporain (lire encadré), lui, se situe à la 8e place.
Séoul compte être le nouveau hub artistique en Asie bénéficiant aussi d’un contexte régional favorable : le Covid ferme les frontières chinoises et une grave crise démocratique ébranle Hong Kong. La politique culturelle coréenne (hallyu) et son économie florissante séduisent galeries étrangères et professionnels de l’art, jusqu’à Frieze qui s’y installe en 2022.
Les trentenaires et quadragénaires voient un investissement financier alternatif aux actions ou à la cryptomonnaie instables, et alors plus accessible que l’immobilier dont les prix ont flambé. Autre avantage majeur : dans ce pays, il n’existe ni taxes sur les importations ou les transferts, ni de TVA sur les œuvres d’artistes vivants d’une valeur inférieure à 60 millions de wons (40 000 €). Après avoir économisé pendant le Covid, la génération MZ (millennials + Z, nés après 1980) achète frénétiquement. D’après l’étude menée en 2022 par Henna Joo, professeure associée à l’École supérieure des arts et de la gestion culturelle de l’université Hongik (Séoul), les plus gros acheteurs – 53 % sont des femmes – ont un revenu annuel de 200 000 euros. Ils acquièrent en moyenne 20 œuvres par an. C’est le double de ce que leurs aînés achetaient jusqu’à présent. Et ils déboursent alors entre 10 000 et 45 000 euros par pièce. « Ce ne sont plus seulement quelques personnes privilégiées qui achètent l’art, explique-t-elle. Cette clientèle élargie permet au marché de se développer et à plus d’artistes d’émerger. »
Leur préférence va aux jeunes artistes étrangers ou coréens exposés hors du pays. Ils privilégient la possession à court terme comme Jeongho Nam, avocat séoulite de 39 ans et collectionneur depuis 2018 qui en est le parfait exemple. Il confie au Journal des Arts avoir déjà revendu 120 de ses acquisitions sur 260 depuis 2018. Cette génération se laisse séduire par l’attrait visuel des œuvres, achète beaucoup « avec leurs oreilles » et grâce aux réseaux sociaux. Depuis la pandémie, l’art s’apprend et s’achète en ligne. « Instagram et Artsy sont devenus des plateformes majeures pour faire des découvertes, reconnaît le collectionneur Jeongho Nam. J’ai acquis quelques œuvres simplement en envoyant un message à l’artiste sur Instagram. » Les stars des k-drama comme l’actrice Son Ye-jin ou de la K-pop comme RM du groupe BTS, connus pour être des collectionneurs d’art contemporain font des émules dès qu’ils partagent leurs acquisitions sur Instagram. Même si depuis l’année dernière, comme partout ailleurs, « les collectionneurs sont plus précautionneux dans leurs achats, plus réfléchis et ont un budget aussi plus restreint », constate la professeure Henna Joo.
Les musées publics et privés ont, eux aussi, acheté pas mal d’art coréen post-pandémie. En 2022, le pays compte 285 musées d’art dont 80 sont des musées d’art nationaux et publics, 190 des musées d’art privés – certains appartenant à des conglomérats, et 15 universitaires. Le Museum of Modern and Contemporary Art (MMCA) a le plus gros budget des musées publics avec 33 millions d’euros, d’après le rapport 2022 de Seoul National University (SNU) et Paradise Cultural Foundation. Selon Henna Joo qui a participé à ce rapport, on retrouve aussi parmi les acheteurs principaux les musées privés, le Leeum (Samsung Museum of Art), Amore Pacific Museum of Art du nom du géant coréen des cosmétiques dont le président et directeur général Suh Kyung-Bae est aussi un grand collectionneur.
La croissance du marché coréen a aussi vu le nombre de galeries d’art passer de 503 en 2020 à 831 rien qu’en 2022. Les foires qui constituent leur principale plateforme de vente et qui ont augmenté leur part de marché, ont suivi le rythme : 53 en 2018 à une centaine cette année. Parmi elles, Art Busan (créée 2012) et la KIAF (2002) se démarquent. Cette dernière, a accueilli cette année 80 000 visiteurs et encore plus de galeries : 206 dont 130 locales, contre 116 en tout pour Frieze qui se tient la même semaine et au même endroit à Séoul. Par protectionnisme, la Corée demande à tout nouvel entrant de nouer un partenariat avec une entreprise locale.
Deux acteurs majeurs se partagent les ventes aux enchères. En mars 2024, K-Auction enregistre près de 9 millions de dollars de ventes en baisse de 64 % par rapport à 2019 et Seoul Auction avec 28 millions d’euros marque aussi une baisse depuis fin 2022. Le contexte économique est moins favorable, les ventes moins importantes et les œuvres de jeunes artistes coréens ayant rapporté d’importantes sommes d’argent en 2021-2022 ont disparu du marché.
Signe aussi, que comme ailleurs, la Corée doit trouver comment stabiliser son marché. « Quand on pense au k-drama ou à la k-pop, ils ont émergé en force et maintenant ça se stabilise. C’est ce qui doit arriver aussi pour l’art contemporain », souligne Valentina Buzzi, conservatrice entre la Corée et l’Europe. Pour la professeure Henna Joo, le processus est en cours : « Le marché est en train de mûrir. Il n’est pas encore arrivé à maturité. »
L’art contemporain dans le Top 10 mondial
Ventes publiques. Cette année encore, la Corée se trouve parmi les dix plus gros marchés aux enchères de l’art contemporain mondiaux selon le dernier rapport Artprice (juillet 2023-juin 2024). Le pays recule d’une place prenant la 8e position derrière l’Italie avec 15,6 M€. Il double quasiment Singapour : 8,6 M€ mais reste encore loin derrière le mastodonte chinois, toujours 2e avec 476 M€ et Hong Kong qui descend à 263 M$. Le marché de l’ultra-contemporain reste aussi dominé par les États-Unis (52 M€), la Chine (40,6 M$) et le Royaume-Uni (27 M€). La Corée qui prend la 7e place derrière le Japon, la Pologne et la France, assure 700 000 $ pour 30 lots vendus.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Pourquoi le marché coréen a pris son envol
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Pourquoi le marché coréen a pris son envol