Alors que le Congrès américain s’apprête à sacrifier les subventions publiques en faveur des arts sur l’autel de l’orthodoxie libérale, tous les yeux se tournent vers le secteur privé. Le bilan des collectes de fonds lancées en 1995 par les musées américains est encourageant et laisse penser que le mécénat devrait compenser la défection des pouvoirs publics, au regard de la relative modicité des sommes jusqu’à présent allouées par l’État fédéral.
NEW YORK (de notre correspondant) - L’Interior Appropriations Bill va réduire les fonds du National Endowment for Arts (NEA) de 172 millions de dollars (810 millions de francs) à 99,5 millions de dollars (498 millions de francs) pour l’année fiscale 1996, et ceux du National Endowment for Humanities (NEH) de 172 millions de dollars (860 millions de francs) à 110 millions de dollars (550 millions de francs).
Le Congrès, à majorité républicaine, a même l’intention de supprimer la totalité des crédits alloués d’ici trois ans. Ce désengagement progressif appelle un effort supplémentaire de la part des donateurs, entreprises et particuliers. Cependant, au vu des résultats obtenus par plusieurs grands musées américains, le secteur privé paraît en mesure de compenser, sinon combler, le manque à gagner. Dans la seule ville de New York, le Metropolitan Museum of Art, le Guggenheim Museum et le Whitney Museum ont réussi à draîner près de 300 millions de dollars (1,5 milliard de francs) de fonds privés depuis un an.
Trente millions de dollars de plus que le SFMoMA
Le Metropolitan a déjà réuni 181 millions de dollars (905 millions de francs) sur les 300 millions de dollars attendus à l’issue de sa collecte de fonds échelonnée sur trois ans (lire le JdA n° 11, février 1995). À elle seule, la restructuration des salles du département des Antiquités grecques et romaines devrait engloutir près de 90 millions de dollars (450 millions de francs) : à titre de comparaison, la construction du SFMoMA, inauguré il y a un an, a coûté 60 millions de dollars, et celle du futur MoMA de Chicago est évaluée à 47 millions de dollars…
La superficie du département passera de 3 000 m2 à 6 500 m2, et 35 000 pièces seront exposées au lieu de 3 000 précédemment. Les principaux donateurs en vue de cette extension sont Leon Levy et sa femme Shelby White (20 millions de dollars, soit 100 millions de francs), Frank Cosgrove Jr. (17,5 millions de dollars, soit 88 millions de francs), Renée et Robert Belfer (6 millions de dollars, soit 30 millions de francs), Dorothy et Lewis Cullman (5 millions de dollars, soit 25 millions de francs).
Par ailleurs, la Korea Foundation et la Samsung Foundation ont versé 5 millions de dollars au Metropolitan pour créer et développer un programme en faveur de l’art coréen. La Korea Foundation prendra en charge la construction des salles, qui devraient ouvrir à la fin de 1997, et la Samsung Foundation financera les programmes pédagogiques d’accompagnement. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la politique suivie par le Metropolitan en direction des arts asiatiques : en vingt-cinq ans, le musée aura ainsi créé des salles pour les arts de la Chine, du Japon, de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est.
Rénovation du théâtre de Guggenheim
Engagé dans une collecte de fonds échelonnée sur deux ans, le Guggenheim Museum a réuni 77 millions de dollars (385 millions de francs) sur les 100 millions de dollars espérés. Le musée cherche à récupérer 54,9 millions de dollars (275 millions de francs) d’obligations défiscalisées émises par la Ville de New York, en 1992, pour financer la rénovation et l’extension du musée. Ronald Perelman, président du conseil d’administration du Guggenheim depuis février 1995 et P.-D.G. de MacAndrews & Forbes Holdings Inc., qui possède entre autres Revlon et Marvel Entertainment Group, a donné 10 millions de dollars (50 millions de francs) par l’intermédiaire de la Fondation Revlon.
De même, Peter Lewis, administrateur depuis 1993 et P.-D.G. de la Progressive Corporation, une compagnie d’assurances de Cleveland, a offert 10 millions de dollars pour la rénovation du théâtre de trois cents places conçu par Frank Lloyd Wright, sous la rotonde du musée.
Depuis que le Whitney Museum of Art a lancé, en septembre, sa campagne destinée à réunir 35 millions de dollars, le conseil d’administration a déjà recueilli 28 millions de dollars (140 millions de francs). Le président du conseil d’administration, Leonard Lauder, et un administrateur, Emily Fisher Landau, ont versé chacun 5 millions de dollars (25 millions de francs) ; un autre administrateur, Peter Norton, a donné 4 millions de dollars (20 millions de francs), et les sept autres membres du conseil d’administration ont apporté au moins un million de dollars (5 millions de francs) chacun.
Chong-Moon Lee, délégué de l’Asian Art Museum de San Francisco, a offert 15 millions de dollars (75 millions de francs) pour lancer la campagne de financement destinée à la réinstallation du musée, qui va quitter le Golden Gate Park pour s’installer dans l’ancien Main Public Library Building, dans le Civic Center (ouverture prévue en 1999). Cette donation représente à peu près la moitié des fonds privés nécessaires pour mener à bien ce projet, évalué à 82 millions de dollars (410 millions de francs). En 1994, le fondateur de Diamond Multimedia Systems avait déjà donné 1 million de dollars au département d’Art coréen.
Un entrepôt rénové par Franck Gehry
Sydney et Audrey Irmas, dont le County Museum of Art a présenté la collection d’autoportraits au début de 1995, ont donné 3 millions de dollars (15 millions de francs) au Los Angeles Museum of Contemporary Art (MOCA). Ajoutés à un important don anonyme, à des dons de la Fondation Annenberg, la Fondation James Irvine, la Fondation Times-Mirror, James Burrows, Betye Burton et Golbert Friesen, ainsi qu’à des dons d’un million de dollars (5 millions de francs) promis par Eli et Edythe Broad et par Thurston Twigg-Smith, la moitié des 25 millions de dollars attendus d’ici 1998 est recueillie. La majeure partie de ces donations ira grossir la dotation du second lieu d’exposition du MOCA, le Temporary Contemporary, soit 20,5 millions sur 50 millions de dollars.
Installé dans un ancien entrepot rénové par l’architecte Franck Gehry, ce second bâtiment a rouvert ses portes l’an dernier. Le Musée des beaux-arts de Boston a reçu 1 million de dollars de Carl et Ruth Gordon Shapiro, pour doter le département des Estampes, Dessins et Photographies. Cette donation porte le total de la collecte de fonds, échelonnée sur trois ans, à 60 millions de dollars (300 millions de francs) sur les 110 millions de dollars espérés. Carl Shapiro est le fondateur et l’ancien P.-D.G. des vêtements Kay Windsor. Selon Malcolm Rogers, son directeur, les œuvres sur papier représentent plus des deux tiers des œuvres du musée, ce qui constitue à la fois "l’une des six grandes collections mondiales d’estampes, l’une des premières collections de photographies, et probablement la plus grande collection d’aquarelles américaines au monde."
Stuart et Nancie Mishlove, qui financent régulièrement l’Art Institute de Chicago depuis quinze ans, ont encore apporté 4 millions de dollars (20 millions de francs) en 1995. Cette somme sera destinée à neuf galeries consacrées aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles européens (peintures, sculptures et œuvres sur papier).
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Les musées américains plus que jamais tributaires du mécénat
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Les musées américains plus que jamais tributaires du mécénat