ROMAINVILLE
La Fondation Fiminco continue à étoffer ce quartier culturel en Seine-Saint-Denis, que les habitants n’ont cependant pas encore investi.
Romainville (Seine-Saint-Denis). Surnommé le Bas-Pays, le quartier situé le long du canal de l’Ourcq a longtemps été une zone où usines et entrepôts se succédaient entre les îlots de maisons ouvrières. Depuis 2008, le projet de la zone d’aménagement concerté (ZAC) du quartier de l’Horloge a permis de réhabiliter certains bâtiments industriels et de construire de nouveaux logements et commerces, sur 51 hectares. Le quartier culturel, situé au nord de la ZAC, s’est installé dans d’anciennes usines chimiques du groupe Roussel-Uclaf, de beaux bâtiments en briques rouges, dotés de verrières. Aux 11 000 mètres carrés déjà construits ou réhabilités s’ajouteront fin 2024 près de 40 000 mètres carrés. C’est la Fondation d’entreprise Fiminco, installée dans l’ancienne chaufferie de l’usine, qui gère le développement culturel du quartier, et sa directrice Katharina Scriba précise les contours du projet : « Le groupe Fiminco procède à la réhabilitation de 50 000 mètres carrés consacrés à la culture dans la ZAC, ainsi qu’à la construction de 60 000 mètres carrés de logements avec Cogedim. La Fondation pilote le volet culturel : soutien à la création, programme de résidences et programmation artistique, avec un budget de fonctionnement de 2 millions par an. » Depuis fin 2019, outre les résidences d’artistes, le quartier accueille sept galeries françaises, les réserves du FRAC Île-de-France (qui se visitent), des ateliers de production (gravure, céramique), l’atelier de livres d’artistes Laurel Parker Book, une antenne de la Parsons School of Design et la compagnie de danse de Blanca Li. Le quartier culturel prendra sa forme définitive fin 2024, avec un auditorium de 600 places, des espaces de résidences, un nouveau bâtiment de réserves (construit par Wilmotte), et quelques commerces : ce sera alors le principal pôle culturel du Grand Paris.
Pourquoi avoir implanté un quartier culturel à Romainville, et déléguer sa gestion à un acteur privé ? Le directeur des affaires culturelles de l’intercommunalité Est Ensemble, Fabrice Chambon, précise que le Bas-Pays était une sorte de « zone blanche », sans équipement culturel public. Il ajoute que ce projet s’inscrit dans « une dynamique culturelle de l’est parisien » engagée depuis plusieurs années, ce que confirme Katharina Scriba en citant les Magasins généraux à Pantin. Fabrice Chambon se félicite que des acteurs privés, comme la Fondation Fiminco, proposent une offre culturelle qui pourrait « créer des ponts avec les conservatoires de musique et danse, avec les théâtres et avec les artistes du territoire ». La Fondation constitue en effet le cœur des activités culturelles, puisqu’elle propose trois expositions collectives par an et surtout son programme de résidences : Katharina Scriba souligne que ce programme s’enrichit de nouveaux partenaires, comme « les Instituts français, des fondations privées, et même des villes en Allemagne ». Le rayonnement international est un des enjeux : les artistes accueillis actuellement viennent de Géorgie, du Gabon ou du Viêtnam. Localement, la fondation propose des programmes d’éducation artistique et culturelle ainsi qu’une « micro-folie » itinérante grâce à des conventions signées avec les collectivités. Pour la programmation du nouvel auditorium, Katharina Scriba évoque des partenariats avec le théâtre du Châtelet, ou le Festival d’automne : il s’agit donc de créer « une plateforme pour la création contemporaine, y compris les arts de la scène ».
Côté fréquentation, Katharina Scriba précise qu’il n’y a pas encore de comptage systématique du nombre de visiteurs à la Fondation. Elle signale des comptages lors des événements marquants comme le « Gallery Weekend » (fin mai) :« Pendant ce type d’événements, nous avons compté 4 500 visiteurs sur un week-end. » Les galeries du quartier confirment une augmentation régulière de la fréquentation. Antoine Laurent, directeur de la galerie In Situ-Fabienne Leclerc, précise que « la fréquentation augmente surtout depuis 2022, et ce n’est pas forcément un public de collectionneurs. Il y a de plus en plus de nouveaux habitants du quartier ». Et il ajoute que grâce aux partenariats noués par la Fondation Fiminco de nombreux scolaires font des visites : « Nous recevons une à deux classes par semaine. » La galerie reçoit aussi des « groupes d’étudiants en école d’art avec leurs enseignants », précise Antoine Laurent. Les galeristes constatent une grande diversité des publics, comme le souligne Vincent Sator (galerie Sator) : « Il m’arrive de recevoir des visiteurs qui ne savent pas ce qu’est une galerie, et je dois leur expliquer. » La gratuité de la plupart des expositions à la Fondation Fiminco et au FRAC permet d’attirer des publics peu habitués aux lieux culturels. Le quartier est aussi mieux identifié par les professionnels du milieu de l’art, selon Vincent Sator : « Dans les foires en France et en Europe, le quartier est connu, et nous recevons régulièrement des commissaires d’exposition étrangers. » Les collectionneurs étrangers se déplacent « sans a priori sur le quartier », selon Antoine Laurent, qui ajoute que le contexte géopolitique influence les déplacements des Chinois et des Américains. Malgré ce contexte, les galeristes confirment une augmentation de leur activité avec des ventes plus nombreuses et des clients plus motivés, au point que plusieurs galeries ont abandonné leurs locaux dans Paris pour louer plus grand à Romainville. Deux galeries étrangères devraient en outre s’installer fin 2024 dans les nouveaux locaux.
Reste la question de l’inclusion des populations locales. Fabrice Chambon rappelle que l’ambition du projet de ZAC est de « faire vivre la mixité culturelle » avec des populations très diverses dont certaines n’ont aucune activité culturelle. Les actions de la Fondation Fiminco vers ces publics commencent à porter leurs fruits dans les galeries et expositions, mais les interactions entre habitants et artistes restent rares : certains artistes exposés à la Fondation dans « La logique des lieux » s’interrogent justement sur ces interactions (Pooya Abbasian, Quýnh Lâm). La commissaire Élodie Royer reconnaît que les artistes en résidence ont peu de contacts avec les habitants de Romainville en général, et espère que les actions de médiation vont « créer des synergies grâce aux associations locales ». Fabrice Chambon rappelle que cela prend du temps d’intégrer les habitants, mais il confirme que la « transformation sociale » par la culture est une priorité de l’intercommunalité.
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La zone culturelle de Romainville s’embourgeoise
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : La zone culturelle de Romainville s’embourgeoise