Centre culturel - Urbanisme

RÉHABILITATION

À Morlaix, un Espace des sciences ancré localement

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 7 août 2024 - 923 mots

MORLAIX / FRANCE

La ville bretonne poursuit la transformation de la Manufacture des tabacs et ouvre un centre d’interprétation sur l’usine fondée au XVIIIe siècle.

La Manufacture de Morlaix. © Pascal Léopold.
La Manufacture de Morlaix.
© Pascal Léopold

Morlaix (Finistère). Au fond de l’ancienne Manufacture des tabacs de Morlaix, c’est une chapelle Sixtine de l’ère industrielle que le public va pouvoir redécouvrir : une douzaine de moulins à tabac, réduisant les feuilles en poudre à priser, installés en 1871 et actifs jusqu’en 1982. Une machinerie exceptionnelle qui a traversé le temps et survécu à un incendie en 1995. Grâce au travail des restaurateurs Olivier Morel et Galateia Kriezi, ce témoin unique de la deuxième révolution industrielle est non seulement préservé, visitable, mais il est aussi en état de marche, moyennant le concours des derniers ouvriers qui l’ont fait fonctionner.

Le travail de restauration exceptionnel sur ce morceau de patrimoine, classé monument historique en 2001, s’inscrit dans un vaste plan de réhabilitation d’une friche industrielle engagé par l’agglomération de Morlaix. La reconversion des manufactures des tabacs qui ont éclos sous l’Ancien Régime, lorsque Colbert crée un monopole sur le tabac, a connu une première vague dans les métropoles. Universités à Lyon et Toulouse ; centres artistiques et socioculturels à Marseille, Nancy et Nantes ; bureaux à Pantin, Orléans et même maison de retraite à Bordeaux, au cours des années 1990-2000, les grandes villes trouvent un nouvel usage à ces grandes friches patrimoniales libérées par le déclin de l’industrie cigarettière.

La manufacture des tabacs, un marqueur de l’identité locale depuis Louis XV

Mais peu de ces reconversions laissent une place au passé industriel qui a animé les lieux, parfois durant des siècles. À Morlaix, il était cependant difficile de passer outre l’activité cigarettière, exploitée par la multinationale Altadis jusqu’en 2001 : principal employeur de cette partie du Finistère, la manufacture bretonne était un marqueur de l’identité locale depuis son installation sous Louis XV. Patrimoine architectural – l’usine est édifiée par Jean-François Blondel, architecte du roi –, la Manufacture de Morlaix a fait l’objet d’un long programme de reconversion, avec un premier schéma directeur adopté en 2002 par la chambre de commerce et d’industrie.

L’inauguration de l’Espace des sciences, le 2 juillet, marque l’une des dernières phases de cette transformation. Au cours des années 2000, l’institut universitaire de technologie (IUT) de Brest puis les bureaux de l’agglomération Morlaix Communauté se sont installés dans l’ancienne usine. L’ambition du schéma directeur établi par l’Atelier Novembre était de désenclaver la friche et d’en faire un quartier à part entière de la ville ; la seconde phase vise à ouvrir les vastes cours de la manufacture, en installant notamment des activités culturelles. Maison d’édition, artothèque, école de danse trouvent peu à peu refuge dans ses murs. En 2021, ce sont trois salles de cinéma qui sont logées dans les grandes hauteurs sous-plafond des ateliers, accompagnées d’une salle de théâtre et des bureaux du label de musique Wart.

Les moulins à tabac, installés en 1871. © Yves Quere.
Les moulins à tabac, installés en 1871.
© Yves Quere

Avec un investissement de près de 10 millions d’euros – financé pour 4 millions par l’Agence nationale du renouvellement urbain –, le centre d’interprétation scientifique doit devenir l’un des points d’attraction majeurs du nouveau « quartier », et a vocation à narrer l’histoire des lieux. Il est géré par une association rennaise, déjà gestionnaire d’un premier Espace des sciences à Rennes. Implantée à Morlaix, l’association envisage de mettre un orteil dans l’écosystème de la manufacture, mais les circonstances lui donnent finalement bien plus. « Au départ, il y a le projet d’un tout petit “espace des sciences”, se souvient Jean-Paul Vermot, maire (PS) de la ville. Puis, en 2014, il y a le mouvement des “bonnets rouges” en Bretagne, et en réponse le déblocage d’un programme d’investissements d’avenir (PIA) par le gouvernement. Ce qui devait être le petit frère de l’Espace des sciences de Rennes devient le grand frère. »

Rénovation de la manufacture et recomposition urbaine

En intégrant la rénovation de la manufacture à une démarche de recomposition urbaine, l’agglomération accède aux financements de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) qui permettent aujourd’hui de développer un important parcours permanent sur 3 600 mètres carrés. Ce dernier associe des séquences consacrées aux sciences fondamentales – une belle salle dévolue à la géologie bretonne, une autre réalisée par l’artiste Patrick Michel et qui plonge le visiteur dans le système solaire – et des développements intimement liés à l’histoire de la manufacture. Le tabac ouvre ainsi la visite, dans une approche à la fois botanique, médicale et économique.

Dans la grande salle d’atelier, la science des techniques regarde l’histoire sociale dans un décloisonnement des disciplines assumé. D’un côté, les machines de l’usine qui ont pu être récupérées, et qui pour bon nombre d’entre elles fonctionnent encore, servent de support à des démonstrations sur la mécanique. De l’autre, le parcours donne la parole à ceux qui ont manipulé ces machines depuis 1740, évoquant le travail des enfants, les mobilisations ouvrières féminines, jusqu’à la fermeture de l’usine en 2004 et ses conséquences, dans des petites scènes jouées par des acteurs augmentées d’éléments d’archives.

Valorisation d’un patrimoine architectural, technique, scientifique et social : aucune dimension n’est négligée dans ce parcours de l’Espace des sciences, mis en scène par l’agence Maskarade. À l’extrémité de l’aile occupée par le centre d’interprétation, la salle des moulins constitue le clou du parcours, où le visiteur peut voir à certaines heures les pièces de fonte s’animer comme en 1871.

Patrimoine restauré, les moulins sont aussi un patrimoine vivant : une exploitante de thé locale étudie la possibilité d’y faire broyer ses feuilles, bien moins nocives que celles de tabac. L’histoire industrielle de la Manufacture n’est peut-être pas encore tout à fait terminée…

Espace des sciences de Morlaix,
Manufacture des tabacs, 42, quai du Léon, 29600 Morlaix, espace-sciences-morlaix.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : À Morlaix, un Espace des sciences ancré localement

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