EUROPE
La crise met en évidence la faiblesse des mécanismes européens d’aide aux secteurs culturels. Des mesures ont cependant été mises en place et le programme « Europe créative » a été réévalué.
Europe. Jean Monnet, l’un des « pères » de l’Europe, avait un jour dit : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. » Cinquante ans après, la culture reste toujours délaissée par l’Union européenne (UE), avec 0,15 % de son budget à lui être consacré. Ces derniers mois pourtant, elle s’est rappelée aux bons souvenirs de l’Europe par la mise en évidence de la précarité de nombreux acteurs culturels fragilisés par la crise du Covid-19. Une situation qui n’a pas empêché la Commission européenne de l’oublier lors de la présentation, le 27 mai, de son vaste plan de relance doté de 750 milliards d’euros et baptisé « Next Génération EU ». Un secteur qui représente pourtant plus de 500 milliards d’euros et 7 millions d’emplois.
Les eurodéputés ont interpellé la présidente de la Commission pour lui demander un financement de la culture dans ce plan de relance qui sera négocié dans la première quinzaine de décembre. « Nous partons de loin et les choses commencent à bouger car Ursula von der Leyen nous a répondu que l’idée était à creuser à condition de trouver les bons instruments », précise l’eurodéputée Salima Yenbou (Europe Écologie-Les Verts).
Dans cette perspective, les « coronabonds », proposés par neuf États européens, qui consistent en l’émission de titres de dette non plus nationaux mais européens, pour se financer sur les marchés et investir des moyens supplémentaires dans la lutte contre la crise, pourraient-ils être un de ces instruments ? « Non », assure le spécialiste des politiques européennes Francesco Saraceno, directeur adjoint à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). « Les coronabonds ne sont pas des instruments d’urgence mais s’insèrent dans des plans d’investissements à long terme, explique-t-il. La culture ne figure pas dans les priorités de la Commission européenne qui destine ses fonds, en premier, aux domaines de l’écologie, du numérique et de la santé publique et maintiendra, je pense, ce cap d’investissement très classique. »
Malgré tout, l’Europe a mis en place des mesures pour soutenir le secteur comme le mécanisme de garantie pour la culture et la création qui propose des prêts allant de 1 000 à 2 millions d’euros, à solliciter auprès de BpiFrance ou de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles.
Quand on parle de financement de la culture en Europe, il faut se rappeler que l’article 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne restreint le rôle de l’Europe en matière de culture, rôle qui se borne à soutenir et compléter les politiques nationales en excluant une harmonisation de la législation. Les États membres conservent sur leurs politiques culturelles une souveraineté pleine et entière.
Le seul programme européen qui finance directement la culture est « Europe créative ». Le projet « A Place at the Royal Table », développé par l’Association des résidences royales européennes, a par exemple été financé à hauteur de 198 000 euros par ce programme. Dans le cadre de celui-ci, la Commission européenne est intervenue de manière directe pour mettre en place des aides d’urgence afin de soutenir les acteurs culturels fragilisés par le Covid-19. Ainsi, elle a accéléré l’appel à projets « Coopération 2020 » faisant partie du volet culture d’Europe créative, « avec une dotation de 48,5 millions d’euros, pour tenir compte de la pandémie », signale l’Agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture » de l’UE.
La partie médias du programme bénéficie de son côté d’une allocation supplémentaire de 5 millions d’euros, sous la forme de « bons » attribués aux cinémas les plus durement touchés par le confinement.
Mais les financements octroyés par Europe créative sont modestes car la culture demeure, pour l’Europe, une simple compétence d’appui. Ainsi le budget d’Europe créative dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 s’élève à 1,46 milliard d’euros, soit un peu plus de 200 millions d’euros par an (209 en 2018) pour 27 États membres et huit pays tiers. Un montant qui équivaut aux coûts d’exploitation annuels de certains sites culturels comme l’Opéra national de Paris (201 millions d’euros en 2018). Pour comparaison, l’agriculture et l’environnement ont bénéficié en 2018 d’un financement européen de 59 milliards d’euros tandis que la cohésion sociale et territoriale a reçu 56 milliards d’euros.
Europe créative comporte trois programmes financés inégalement : 31 % pour la culture, 56 % pour les médias et 13 % pour le volet transsectoriel. Cela s’est traduit, en 2020, par 78,8 millions d’euros pour la culture et 119,7 millions d’euros pour les médias.
Le Parlement européen, conscient de l’insuffisance de ces financements, a proposé pour le budget 2021-2027 de porter l’enveloppe d’Europe créative à 2,8 milliards d’euros. La Commission avait proposé 1,6 milliard d’euros, un montant qu’elle a ramené ensuite à 1,52 milliard d’euro. La cause culturelle n’est pas pour autant désespérée car, comme le souligne Salima Yenbou, « les négociations sont toujours en cours et nous espérons que la voix du Parlement va être entendue ».
La culture peut aussi être financée par différents fonds structurels comme le Feder (Fonds européen de développement régional). « Tout est très complexe en matière de financements de la culture, éclatés sur plusieurs fonds, explique Salima Yenbou. Les fonds structurels ne soutiennent pas la culture en tant que telle mais subventionnent la dimension socio-économique. » Une complexité pointée par la Cour des comptes européenne qui dénonce, dans son rapport de février 2020, « un cadre stratégique pour l’action culturelle complexe [qui] ne se reflète que partiellement dans les financements prévus ». La Cour rappelle que, « bien que les dépenses en faveur de la culture ne représentent qu’une petite partie du budget global du Feder, environ 4,7 milliards d’euros prévus pour la période de programmation 2014-2020, soit 2,3 %, ce dernier est la principale source de financement de l’UE pour les investissements dans les sites culturels ».
Au cours de la période 2010-2017, les montants investis par le Feder dans des sites culturels se sont élevés à quelque 750 millions d’euros par an. Ils représentaient plus de 25 % des investissements publics culturels dans un tiers des États membres et plus de 50 % au Portugal et en Grèce. Dans son enquête, la Cour des comptes européenne montre que 44 % de ces investissements n’auraient pas été mis en œuvre sans ce soutien alors que 48 % auraient été reportés ou auraient vu leur portée réduite.
D’autres fonds financent la culture de façon indirecte. C’est le cas du programme « Copernicus » (1,807 Md€), dévolu à l’observation de la Terre par satellite, qui finance aussi des opérations de cartographie et de numérisation du patrimoine culturel, ou encore d’« Erasmus + », qui aide à l’échange des étudiants dans des écoles d’art européennes. D’ailleurs, la commissaire européenne à la recherche, à l’innovation et à la culture, Mariya Gabriel, a annoncé 100 millions d’euros pour la formation dans les programmes culturels.
Même si le rôle financier de l’Europe est modeste en matière culturelle, les États peuvent se servir des perspectives de la politique budgétaire européenne pour financer leur culture. « La BCE a suspendu jusqu’au premier semestre 2021 le pacte de stabilité et de croissance ; les États, qui ont désormais moins de contraintes financières, peuvent donc investir dans la culture, explique Francesco Seranceno. La solution pour la culture doit venir des États eux-mêmes, car ils n’ont pas d’excuses actuellement pour baisser les dotations de la Culture et prétexter le manque d’argent. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : La Culture, parente pauvre de l’Europe