Un premier rapport depuis la mise en place d’Adage et du Pass culture collectif dresse un bilan et pointe les dysfonctionnements de l’Éducation artistique et culturelle.

France. La Cour des comptes, toujours aussi investie dans la politique culturelle, s’est lancée à l’assaut de l’évaluation d’un programme phare de l’État : l’éducation artistique et culturelle (EAC). Un « mammouth » aurait dit l’ancien ministre de l’Éducation récemment disparu, Claude Allègre, qui concerne 13 millions d’élèves et 58 000 établissements. Le périmètre est autrement plus large et complexe que celui des musées dont la Cour aligne les rapports avec gourmandise. Ce rapport suit d’ailleurs de peu celui sur le Pass culture individuel.
Cet empressement à évaluer les programmes culturels a les défauts de ses qualités. Il permet de mieux comprendre ce qui est en train de se passer et d’inciter les acteurs à s’améliorer mais dans le même temps il peut contrarier les bonnes intentions alors que le programme vient tout juste de se structurer, comme le JdA le décrivait en mai 2022.
Comment évaluer ce « mammouth » ? La Cour commence par faire ce qu’elle sait le mieux faire : compter combien cela coûte. Oui mais compter quoi ? Voilà tout le problème de l’EAC qui concerne à la fois les enseignements artistiques obligatoires et les « parcours EAC », le temps scolaire et aussi le périscolaire et l’extrascolaire. Elle estime les dépenses globales à 3,5 milliards d’euros en 2023, soit grosso modo le budget de la Mission Culture. C’est considérable. Cependant plus de 76 % de ce montant concernent les salaires des professeurs d’art plastique et de musique dans les écoles, collèges et lycées pour les deux heures d’enseignements obligatoires hebdomadaires pour les écoliers et collégiens et les enseignements optionnels pour les lycéens. Si l’on enlève les enseignements obligatoires et optionnels, le coût État plus collectivité locale est de l’ordre de 885 millions. Pour mémoire, le budget spécifiquement EAC du ministère de la Culture est de 124 millions d’euros.
Le Pass culture collectif (c’est-à-dire l’enveloppe allouée aux collégiens et lycéens pour réaliser ensemble une sortie ou un programme culturel) est un formidable accélérateur des actions d’EAC, comme en témoigne la colère suscitée par le coût de rabot de janvier (lire encadré). Alors qu’auparavant, l’enseignant désireux de monter un projet EAC devait chercher des financements, aujourd’hui c’est l’inverse : il existe un « droit de tirage » comme l’appellent les rapporteurs et une offre (pléthorique). Les enseignants n’ont plus qu’à faire leur choix, un peu comme le compte personnel de formation (CPF) des salariés. Il a coûté 51 millions d’euros en 2023.
Voilà pour les dépenses, mais qu’en est-il de l’efficacité de l’EAC ? La Cour se concentre sur deux objectifs assignés à l’EAC : toucher le plus grand nombre d’élèves et réduire les inégalités culturelles. Elle ne peut bien sûr pas évaluer si une sortie au théâtre ou au cinéma, la participation à une chorale ou à un dialogue avec un artiste en résidence a pu déclencher « quelque chose » auprès des élèves concernés. Ce « quelque chose », un processus psychique au long cours, est absolument impossible à mesurer et c’est d’ailleurs tant mieux. Il faut se contenter du principe selon lequel plus un enfant est exposé à de la culture, meilleures sont ses chances d’épanouissement.
57 % des élèves ont bénéficié d’une action d’EAC au cours de l’année scolaire 2023-2024. On connaît ce chiffre grâce à la mise en place récente de l’application Adage qui – notamment – enregistre les « actions » d’EAC pour chaque élève. Mais comme cela a souvent été noté dans ces colonnes et que soulignent aussi les magistrats de la rue Cambon, Adage met dans le même sac une projection de film et un « parcours » EAC, c’est-à-dire un projet durant plusieurs semaines qui associe, par exemple sortie ou rencontre avec des artistes, création et restitution de ces travaux. Même en tenant compte que toutes les actions d’EAC ne sont pas saisies dans l’application (c’est loin d’être un réflexe pour les enseignants), ce taux de 57 % paraît fort bas pour des actions, semble-t-il, aussi banales à l’école ou au collège. On est loin des objectifs d’universalité.
On est loin aussi des objectifs de réduction des inégalités culturelles. La Cour constate que si 79 % des élèves dans les lycées généraux ont bénéficié d’une action d’EAC, seuls 64 % des élèves dans les lycées professionnels en ont profité. Or on compte beaucoup plus de lycéens à l’origine sociale défavorisée dans la voie professionnelle que dans la voie générale et technologique. La Cour relève aussi un constat que tout chacun peut faire : plus on vit dans des zones rurales pauvres en équipements culturels, moins les élèves ont d’opportunités culturelles dans le cadre scolaire. Plusieurs collectivités locales tentent alors d’apporter de la culture dans les écoles et le rapport décrit avec bienveillance un certain nombre de ces programmes. Mais cela reste insuffisant. Les collectivités locales dépensent près de 600 millions d’euros dans des actions d’EAC.
La Cour relève enfin de nombreux dysfonctionnements qui tiennent à la complexité et aux masses en jeu de l’EAC. D’abord un problème de gouvernance, entre les ministères de l’Éducation nationale et de la culture, entre l’État et les collectivités locales, entre les acteurs de terrain. Le Haut Conseil à l’éducation artistique et culturelle (HCEAC) ne se réunit plus depuis plusieurs années, au point que le Sénat a demandé sa suppression. Il existe bien des comités territoriaux de pilotage qui doivent se réunir annuellement, mais cela n’est pas le cas partout.
Plus inattendu est l’investissement variable des établissements scolaires dans la mise en œuvre des actions d’EAC. On pourrait croire qu’à cet échelon, il est plus facile pour un directeur d’ordonner des actions dans toutes les classes, mais ce n’est pas le cas. La Cour note qu’encore bien souvent les projets sont portés par des enseignants plus motivés que les autres, ce qui la conduit à recommander de mieux former les enseignants à ces programmes. À aucun moment cependant, elle ne relativise le sous-investissement dans l’EAC par rapport aux autres enjeux plus fondamentaux que sont les apprentissages de base et les difficultés bien connues de l’éducation nationale.
Comme pour le CPF, le Pass culture collectif a suscité un référencement massif d’offres : près de 13 000 ! Toutes, et loin de là, sont du niveau des dispositifs nationaux bien rodés que sont « ma classe au cinéma » ou les programmes d’éducation musicale « Démos ». Et comme pour le Pass culture individuel, de nombreuses organisations se sont fait référencer (dans Adage) voulant profiter de la manne financière. Autant dire que l’administration est submergée et que soit elle alloue des ressources chronophages pour contrôler les demandes, soit elle valide sans trop regarder. Beaucoup d’enseignants ont alors tendance à « acheter » un package auprès d’un opérateur bien connu. Le Théâtre du Héron est le premier bénéficiaire de cet effet avec un CA de 1,5 million d’euros depuis le début du dispositif, suivi de l’association Théâtre en anglais (1,40 M€). Le Mémorial de Caen pointe à la quatrième place avec 850 000 euros.
Depuis le Plan Tasca-Lang des années 2000 qui a commencé à organiser l’action culturelle dans l’Éducation nationale, la mise en place récente du système Adage + Pass culture collectif, auquel on peut ajouter le label 100 % EAC des collectivités locales, a donné un squelette à l’EAC. L’enjeu est maintenant de limiter la bureaucratisation et les effets d’aubaines inévitables dans de tels programmes massifs.
Une sous-estimation du Pass culture collectif
BUDGET. Le gel des réservations d’offres pour le Pass culture dans les collèges et lycées, annoncé le mois dernier par le ministère de l’Éducation nationale, est du plus mauvais effet. Il a mis en émois et suscité de nombreuses critiques parmi les enseignants au moment où le programme commençait à les mobiliser. Le ministère s’est en effet rendu compte que l’enveloppe des réservations en ce début d’année s’élevait déjà à 50 millions d’euros pour un budget de 72 millions d’euros, il a donc dû fermer le robinet en urgence. Mais comment en est-on arrivé là alors que le montant des budgets disponibles est calculé quasiment au centime près en multipliant la bourse allouée par le nombre d’élèves bénéficiaires ? Réponse : en supposant une sous-consommation, comme le montre le rapport pour l’année 2023-2024. En théorie, le budget aurait dû être de 137 millions d’euros. Or les crédits alloués en 2023 ont été de 57 millions d’euros. Et le ministère a continué à sous-doter le Pass culture pour 2025 et s’est pris les pieds dans le tapis.
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La Cour des comptes tente de cerner l’EAC
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°650 du 28 février 2025, avec le titre suivant : La Cour des comptes tente de cerner l’EAC