Organisé en décembre dernier, le « Parcours Martinique » a mis en exergue aussi bien les manques structurels dans la région que les aspirations identitaires des artistes.
Alors que de nouvelles scènes artistiques ont fait leur apparition ces dernières années dans les grandes expositions internationales, ou sur le marché de l’art, à l’exemple des artistes chinois, indiens, ou du monde arabe (lire p. 11), les créateurs des Caraïbes pourraient-ils bénéficier à leur tour d’un coup de projecteur ? Cette question était au centre d’un séminaire international organisé dans le cadre du « Parcours Martinique, l’art contemporain dans la Caraïbe ». Ce dernier, qui s’est tenu à l’Habitation Clément, en Martinique, du 30 novembre au 1er décembre 2008, a réuni un grand nombre de professionnels et d’artistes de la région. Certes, quelques plasticiens des Caraïbes bénéficient déjà depuis longtemps d’une grande visibilité, à l’image d’Hervé Télémaque, de Peter Doig ou d’Isaac Julien. Mais la plupart sont loin de jouir de la notoriété et de l’aura d’écrivains, poètes ou essayistes comme Édouard Glissant ou Patrick Chamoiseau. Cette région reste en effet éloignée des grandes migrations artistiques, à l’exception notable de la Biennale de La Havane (lire p 20). C’est à partir de centres « classiques » de l’art, à savoir Paris et New York, que cette scène est en train d’obtenir une reconnaissance. La capitale française accueille en effet jusqu’au 5 juillet à la Grande Halle de la Villette l’exposition « Kréyol Factory », premier panorama d’envergure sur l’art dans ces pays (mais aussi à la Réunion et à Maurice) (lire p. 18). De son côté, le Museo del Barrio, à New York, prépare en collaboration avec le Queens Museum of Art et le Studio Museum Harlem l’exposition « Caribbean: Crossroads of the World », qui doit ouvrir à l’automne 2011. Cette manifestation de grande ampleur s’est donné pour tâche d’explorer l’ensemble des expressions esthétiques qui se sont développées dans cette région depuis que les Européens y sont arrivés. L’exposition s’attachera plus particulièrement à la période qui s’est ouverte avec la révolution Haïtienne (1791-1804), qui correspond au début du processus d’autodétermination et d’autonomie de ce territoire. Elle s’étendra de la première période de la colonisation jusqu’à aujourd’hui, en abordant des thèmes comme l’esclavage, le commerce, les migrations, la créolisation et cette géographie paradisiaque. Ce projet new-yorkais est en particulier soutenu financièrement par la population portoricaine de la mégalopole. Le rôle des diasporas est en effet primordial pour la reconnaissance de cette scène, comme d’autres d’ailleurs, à l’exemple des Iraniens expatriés qui collectionnent « leurs » artistes.
Si les Antilles françaises ne possèdent pas de musée ni de centre d’art (exception faite de l’espace offert dans l’Habitation Clément, lire l’encadré), d’autres pays disposent de structures qui soutiennent localement les artistes et accueillent des créateurs venus d’ailleurs. Tel est le cas de TEOR/éTica, un lieu privé ouvert par Virginia Pérez-Ratton dans l’ancienne maison de sa grand-mère à San José, au Costa Rica. La directrice y présente aussi bien Louise Bourgeois que des expositions de la peinture émergente d’Amérique centrale, comme ce fut le cas au mois de mars. Cependant, le manque de lieux d’envergure reste un handicap majeur pour la région, non seulement parce que les artistes du cru ne peuvent bénéficier d’une visibilité, ne serait-ce que localement, mais aussi parce qu’il n’est pas permis à ces créateurs de se confronter à une production internationale. Il faut néanmoins souligner ici le travail effectué sur place par les critiques d’art et notamment l’Association internationale des critiques d’art — section Caraïbe du Sud, laquelle a co-organisé le « Parcours Martinique » avec la Fondation Clément, CulturesFrance et la DRAC [direction régionale aux Affaires culturelles] Martinique —, un travail indispensable de relais d’information et d’échanges d’idées.
Quête ou rejet de l’identité
Au-delà des problèmes de réseaux et de structures, les débats ont été largement marqués par des questions identitaires, qui restent très présentes dans la réflexion de ces artistes. Originaire de la Barbade, Joscelyn Gardner revient ainsi dans ses œuvres sur la question de l’abus des jeunes femmes noires par les colons blancs. La Martiniquaise Julie Bessard s’est rendue en Afrique noire à la rencontre de ses racines, des racines que les populations antillaises cherchent au contraire à fuir en espérant, de génération en génération, éclaircir de plus en plus la couleur de la peau de leurs descendants. Volontiers provocateur, Jean-François Boclé a posé la question de la dépendance des Antilles françaises vis-à-vis de la métropole, une interrogation qui devait prendre un relief singulier quelques semaines plus tard avec les émeutes qui ont frappé tour à tour la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique. L’artiste a souligné que ces territoires, à la différence de nombreux autres dans la région, n’avaient pas pris leur indépendance au sortir du deuxième conflit mondial. Coïncidence ou non, il semble que les îles anglophones ou hispanophones soient aujourd’hui plus actives dans le domaine de l’art contemporain que nos DOM. Mais le « Parcours Martinique » montre indéniablement qu’un changement est en route.
Actif principalement dans le domaine de la grande distribution (alimentaire et non alimentaire) et la distribution automobile, le Groupe Bernard Hayot (GBH) rachète les Rhums Clément en 1986. Créée en 2005 pour gérer les activités de mécénat du groupe, la Fondation Clément a entrepris depuis plusieurs années un travail patrimonial sur le site de l’Habitation Clément, située au François, en Martinique. L’ancienne maison coloniale et ses dépendances, classées monument historique en 1996, avaient bénéficié d’une campagne de restauration dès 2002-2003. Sur le site, l’ancienne rhumerie, qui a été réhabilitée en 2005, a été aménagée en centre d’interprétation que le public peut visiter muni d’audioguides. L’habitation est également l’un des rares lieux de l’île à accueillir régulièrement des expositions d’art contemporain, réalisées principalement par des artistes de Martinique ou des Caraïbes. La fondation coédite par ailleurs des ouvrages sur les artistes de la région. Collectionneur à titre privé, Bernard Hayot mène ici une action de mécénat dans le plus haut sens du terme. Mis en cause lors des émeutes des semaines passées, cet homme d’une grande discrétion, aujourd’hui à la tête d’un empire, a rappelé dans un communiqué le 16 février qu’il a « créé la Fondation Clément. Ce n’est pas un hasard si cette Fondation entièrement financée par mon groupe d’entreprises ne porte pas mon nom. À travers cette Fondation, j’ai choisi de perpétuer le nom d’une grande famille de ce pays, symbole d’une belle réussite aussi bien sociale que professionnelle. Clément, un nom dont la Martinique, comme moi-même, sommes fiers […]. L’homme que je suis, béké certes, mais martiniquais d’abord, a toujours été hautement conscient de l’importance du rôle de chacun dans le dialogue et la compréhension entre nos différentes communautés. La secousse que nous vivons aujourd’hui est un appel à redoubler d’efforts. Tous ensemble et moi le premier, nous devons dans un élan de fraternité tout faire pour que notre société martiniquaise devienne en profondeur une société respectueuse de chacun, enrichie de ses différences, confortée dans sa capacité à vivre ensemble ».
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La Caraïbe en mouvement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°301 du 17 avril 2009, avec le titre suivant : La Caraïbe en mouvement