Entretien avec Jocelyn Valton, critique d’art, qui vit et travaille en Guadeloupe . Il revient sur les événements récents qui ont secoué l’archipel.
Le critique, l’enseignant, l’observateur attentif et indépendant de la scène guadeloupéenne que vous êtes a réagi aux événements qui ont marqué la Guadeloupe ces derniers mois. Sur fond de quel paysage artistique ces événements surviennent-ils ?
Tout d’abord, il faut prendre la mesure du fait qu’en Guadeloupe, un critique d’art travaille en milieu aride, en raison de l’absence d’un tissu artistique : peu d’artistes ; pas toujours assez d’exigence par rapport à ce que l’on pourrait souhaiter ; très peu de galeries, souvent plus proches de l’artisanat ; pas de musée ou de centre d’art. Ce qui signifie aussi qu’il reste un champ immense à conquérir, qu’il y a une nécessité d’être pédagogique vis-à-vis des différents publics ; c’est aussi ce qui est passionnant, qui me vaut d’avoir choisi de vivre et de travailler là. Quant aux artistes, leur fragilité économique et leur isolement en font aussi des proies idéales pour toutes sortes de pouvoirs. Car il ne faut pas être naïf, l’art aussi est un champ de bataille, et les institutions, celles de la République comme les autres, sont des outils de la politique. Dans nos pays, les institutions sont un des outils de la domination. C’est pourquoi travailler avec elles demande une forme de vigilance. Je crois qu’il ne faut pas trop en attendre ; il est nécessaire que nous soyons nous-mêmes davantage une force agissante. Je regrette qu’il y ait quelquefois un manque d’attitude critique vis-à-vis de ces institutions, de la part des intellectuels et bien sûr des artistes, qui attendent beaucoup d’elles. Les besoins sont énormes et nous posons des problèmes de fond auxquels la DRAC [direction régionale aux Affaires culturelles], par exemple, ne donne pas de réponse adaptée, même si, depuis quelques années, elle peut soutenir des programmes de résidences d’artistes.
Quelles ont été les réactions des acteurs de la culture et de l’art ? Quelle part ont-ils pris aux événements ?
Ce qui vient de se passer en Guadeloupe est un ensemble d’événements très complexes, que l’on n’a pas encore analysé dans tous ses aspects. Ainsi, le LKP est un mouvement qui réunit des forces très différentes. Il s’est, entre autres, appuyé sur un mouvement culturel très actif, « Akiyo », un groupe de carnaval, très efficace dans sa manière d’investir l’espace public et l’espace social au travers des défilés et de la musique. Ce mouvement a porté des revendications sociales et identitaires très fortes. De fait, les demandes d’ordre culturel ont été éclipsées par les revendications économiques et sociales portées par le collectif, et c’est le jeu. Pour finir, le volet culture de la revendication a cruellement manqué de densité. C’est maintenant qu’il faut le faire valoir. De plus, la difficulté, chez nous comme ailleurs, est que la culture est divisée entre une culture dite populaire, en toile de fond, et une culture plus savante. Il faut se défier là du double piège tendu par le populisme autant que par l’élitisme. Ce dialogue entre les cultures reste à venir, et ne se décrète pas ! Certains artistes, comme Bruno Pédurand, né en Guadeloupe et vivant et travaillant à la Martinique, sont très conscients et travaillent sur ces écarts, avec une vraie vision critique et politique. Mais cette distance – celle que permet le déplacement géographique et [qui réévalue] la perception des choses – manque parfois à ceux qui vivent sur place. Quand on revient après l’exil, on peut percevoir son propre pays avec une telle acuité ! C’est une expérience qui m’a marqué, plus jeune. Nombre des artistes présents dans l’exposition « Kréyol Factory » [lire p. 18] se trouvent à l’extérieur, mais certainement pas pour renoncer à leur origine, au contraire ! Il nous reste à inventer une nouvelle société, de nouveaux rapports avec l’état français, en travaillant sur cette histoire commune à la Caraïbe, marquée par l’esclavage. Il faudra que nous en ayons tous le courage, et les artistes comme tous les gens de culture devront y contribuer.
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« Une société à inventer »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°301 du 17 avril 2009, avec le titre suivant : « Une société à inventer »