Collectionneurs - Politique - Russie

D'importants collectionneurs russes menacés par les sanctions américaines

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 14 février 2018 - 659 mots

MOSCOU / RUSSIE

Parmi les personnalités russes visées par un récent rapport du Trésor américain, figurent plusieurs collectionneurs notoires.

Le Ministre de la Culture russe Vladimir Medinsky (ici à droite, en conversation avec Vladimir Poutine)
Le Ministre de la Culture russe Vladimir Medinsky (ici à droite, en conversation avec Vladimir Poutine)

Le marché de l’art russe va probablement être une victime collatérale des tensions croissantes entre Washington et Moscou. Le « Rapport sur le Kremlin » dévoilé le 29 janvier par le Trésor américain vise 210 personnalités appartenant à l’élite politique et économique russe, parmi lesquelles pas loin de la moitié possèdent une collection d’art ou jouent un rôle important dans le monde de l’art russe.

Le « Rapport sur le Kremlin » commandé par le Sénat américain est présenté comme une réponse aux ingérences russes dans les élections présidentielles américaines de novembre 2016. Ses auteurs et commanditaires veulent provoquer une scission au sein de l’élite russe pour fragiliser Vladimir Poutine et son régime, alors que la Russie joue un rôle de plus en plus important dans les conflits cruciaux actuels.

Mais la liste des noms dévoilés n’est actuellement qu’une menace : aucune sanction nouvelle n’est appliquée contre la Russie. Moscou interprète ce « Rapport sur le Kremlin » comme un signal envoyé aux partenaires étrangers des hommes d’affaires russes. Il s’agit de creuser un fossé autour de ces personnalités afin que les liens d’affaires soient coupés ou limités au maximum, et que les banques cessent de leur proposer des services financiers.

La liste américaine a beaucoup été critiquée par les adversaires du Kremlin : les noms d’hommes d’affaires qui y figurent ne sont pas ceux qui sont les plus proches soutiens du régime Poutine. Il ne s’agit ni plus ni moins que de la liste des plus grandes fortunes russes telle qu’elle a été établie par le magazine Forbes.

Figurent ainsi sur la liste, des milliardaires ayant établi leur fortune avant l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000 et n’ayant jamais appartenu au premier cercle du président. Il s’agit de Vladimir Potanine (qui a récemment offert une vaste collection d’art contemporain russe au Centre Pompidou, et dont la fondation aide de nombreux musées russes), de Piotr Aven (l’un des principaux collectionneurs de l’avant-garde russe), de Viatcheslav Kantor (ayant amassé une vaste collection d’artistes d’origine juive et russe tels que Soutine, Chagall, Rothko, Kabakov, Boulatov, Shvartsman, regroupés dans son “musée des maîtres de l’avant-garde”), de Viktor Vekselberg (fondateur du Musée Fabergé et important soutien du Musée Juif), enfin de Boris Mints (propriétaire du Musée de l’Impressionnisme russe).

La menace américaine pèse aussi sur les conjoints de personnalités culturelles de premier plan. C’est le cas d’Igor Kesaïev, dont l’épouse Stella Kesaïeva joue un rôle central dans le mécénat envers l’art contemporain. Également visé, le mari de Sofia Trotsenko (directrice du cluster d’art contemporain Winzavod) Roman Trotsenko, et Roman Abramovitch, qui vient de divorcer de Daria Joukova, la fondatrice du musée d’art contemporain le Garage.

Le rapport frappe sans davantage de discernement la totalité des ministres et des conseillers de Vladimir Poutine. Parmi eux, le ministre de la culture Vladimir Medinsky, le conseiller présidentiel pour la culture Vladimir Tolstoï et la vice première ministre Olga Golodets, qui accompagne fréquemment Vladimir Poutine, lorsque ce dernier visite des grandes expositions. Igor Chouvalov, un autre vice-premier ministre, est connu pour avoir constitué une vaste collection privée de peinture européenne. Afin d’éviter des soupçons de corruption et d’abus de pouvoir, la plupart des dirigeants politiques cachent soigneusement leurs collections et imposent à leurs marchands le plus grand secret.

Selon Vladimir Bogdanov, expert chez Art Investment, une société de vente aux enchères et d’analyse du marché de l’art russe, les conséquences du « Rapport sur le Kremlin » sur l’art sont difficilement mesurables. « Il est clair que rien de bon n’attend ceux qui figurent sur cette liste. Mais on ignore encore quels sont les risques concrets puisqu'ils ne sont pas frappés par des sanctions pour l’instant. On se doute que les biens des gens de la liste seront plus étroitement surveillés par les services financiers américains. Leurs biens les plus vulnérables sont ceux qui se trouvent à l’étranger. »

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