Le magnat de l’immobilier russe Boris Mints a inauguré un imposant musée présentant sa collection privée, constituée de toiles d’un courant méconnu en Europe
MOSCOU - Les noms de Korovine, Koustodiev, Serov, Youon, Pimenov, Polenov ne vous disent rien ? Les efforts d’un riche mécène pourraient contribuer à réévaluer ces grands noms de la peinture russe retirés dans un angle mort de l’histoire de l’art mondiale. L’impressionnisme russe n’a pas eu de chance. Sa floraison est survenue avec une bonne décennie de retard sur l’école française et a rapidement été éclipsée par le succès de l’avant-garde russe des Malevitch, Filonov, Kandinsky et consorts. Lorsque le glacis idéologique s’est abattu dans les années 1930, l’esthétique impressionniste, non conforme aux canons du réalisme socialiste, est passée à la trappe. Encore aujourd’hui, nombre d’historiens de l’art, formés à l’époque de l’URSS, contestent jusqu’à son existence.
Il fallait au moins un musée pour réhabiliter ce courant. C’est la tâche délicate à laquelle s’est attelé depuis 2012 le milliardaire Boris Mints, magnat de l’immobilier moscovite. Mints a déboursé 20 millions de dollars pour reconstruire un ancien entrepôt de lait en poudre situé en périphérie d’un vaste centre d’affaires appelé « Bolchévique », du nom d’une ancienne biscuiterie soviétique ayant brièvement appartenu à Danone dans les années 2000. Le musée se présente comme un singulier bâtiment cylindrique habillé d’une cotte de maille et coiffé d’une tête quadrangulaire. Un design conçu par l’agence d’architectes britannique John McAslan Partners, avec l’aide de l’agence d’ingénierie culturelle française Lordculture. À l’intérieur, 1 000 mètres carrés d’exposition sur trois niveaux, un cinéma, une zone multimédia et un café. Dans le vaste hall d’entrée, une installation vidéo de Jean-Christophe Couet intitulée Toiles respirantes illustre l’acte de peindre sur plusieurs couches. Au sous-sol, le principal espace d’exposition est consacré à la collection permanente, tandis que les deux étages supérieurs accueillent des expositions temporaires.
De l’impressionnisme au contemporain
« Le bourlingueur enchanté », la première exposition temporaire du musée, est consacrée à Arnold Lakhovsky (1880-1937). Ce peintre d’origine juive né à Tchernobyl fait plutôt partie du courant des Ambulants tardif. Le musée n’a pas l’intention de se limiter à un seul mouvement ni à un seul pays, prévient sa toute jeune directrice, Ioulia Petrova, historienne de l’art originaire de Saint-Pétersbourg qui conseillait Boris Mints depuis 2010. La collection personnelle du milliardaire comprend aussi des œuvres contemporaines. La prochaine exposition temporaire sera consacrée à Valery Koshlyakov (1962), l’un des peintres russes actuels les plus célébrés. La directrice table sur un rythme de trois à quatre expositions par an. Le confort du visiteur a été pris en compte. Soigné et précis, l’éclairage ne perturbe jamais la contemplation des toiles. Légendes, textes et catalogues d’exposition sont soigneusement rédigés en russe et en anglais.
Lors de la conférence de presse précédant l’inauguration du musée, le 26 mai, Boris Mints a expliqué avoir démarré sa collection au début des années 2000, lorsqu’il s’est – selon son expression – « retrouvé en liberté », c’est-à-dire lorsqu’il a quitté la fonction publique et la politique. Les acquisitions se sont faites principalement au cours de ventes aux enchères et auprès de collectionneurs privés. Aujourd’hui, la collection du musée compte 250 œuvres, dont 80 à 100 seront visibles dans le sous-sol, consacré à l’exposition permanente. Boris Mints estime sa collection à « plusieurs millions de dollars ». Il met un point d’honneur à ne pas spéculer : « De toute ma vie, je n’ai jamais vendu une seule toile, et je n’en ai pas l’intention. » Il compte bien en revanche poursuivre ses achats, au rythme de 7 à 10 œuvres par an.
Ioulia Petrova concède de son côté que l’impressionnisme russe n’est pas une école à proprement parler. « C’est une période dans la carrière de plusieurs grands peintres russes. Aucun d’entre eux n’a été impressionniste du début à la fin de sa carrière. » Elle cite trois noms dont les œuvres s’échangent parfois au-dessus du million de dollars : Valentin Serov, Boris Koustodiev et Piotr Kontchalovski. « L’impressionnisme russe est fortement sous-estimé par rapport au français, mais aussi par rapport à l’avant-garde russe », estime la directrice du musée. Elle confie d’ailleurs que le projet d’un musée de l’impressionnisme russe a provoqué de l’irritation chez certains collègues français. « Dans l’ensemble, notre projet a suscité de l’intérêt, mais aussi des pointes de jalousie venant de personnes fâchées qu’il puisse exister un impressionnisme autre que français », s’amuse-t-elle.
Le peu de cas fait à l’impressionnisme russe a naturellement facilité la tâche de Mints dans la constitution de sa collection. Aujourd’hui, les principales collections de ce courant se trouvent au Musée russe de Saint-Pétersbourg et à la Galerie Tretiakov à Moscou. Si l’entreprise de Mints ne fait pas décoller la valeur des représentants de ce courant, elle aura au moins suscité la création d’un des plus beaux musées privés de Moscou.
Leningradsky Prospect, Dom 15/11, Moscou, tlj 11h-20h, mercredi 12h-21h,
Entrée 200 roubles (env. 2,60 €).
www.rusimp.ru
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Ouverture d’un « Musée de l’impressionnisme russe »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Ouverture d’un « Musée de l’impressionnisme russe »