SHANGHAÏ / CHINE
L’absurde et l’arbitraire règnent à Shanghaï, ville soumise depuis la fin mars 2022 à un confinement extrêmement strict.
« Pourquoi filmez-vous ? Arrêtez de filmer ! », lance un groupe de policiers engoncés dans leur combinaison biomédicale blanche à une habitante exaspérée assistant depuis sa fenêtre à l’évacuation forcée d’une voisine déclarée positive au variant Omicron. « Pourquoi m’arrêterais-je de filmer ? », répond-elle. « Très bien, lui lance alors un policier, je monte vous voir. » Cette vidéo circulant ces jours-ci en boucle a ému les réseaux sociaux chinois. Sur une autre, les forces de l’ordre nettoient au pistolet de désinfection les logements de résidents « positifs » expédiés en quarantaine, ou défoncent à la hache des portes d’entrée d’appartements d’habitants retranchés chez eux, supposés contaminés, refusant les tests PCR à répétition ou craignant d’attraper le virus en mettant le nez dehors. La situation se tend de la même façon, ces jours-ci, dans plusieurs quartiers de Pékin.
Attachée à sa stratégie « zéro Covid », la Chine maintient son confinement d’une extrême sévérité. Dans le doute et en colère, nombre de Chinois, eux, critiquent « l’absurdité » et « l’arbitraire » des mesures prises : le blocage des entrées des résidences limitant la livraison de vivres – suscitant un marché noir parallèle et des prix sur les vivres qui montent en flèche –, la séparation des familles et les traumas engendrés ; les décès de Shanghaïens victimes d’AVC ou diabétiques qui n’ont pu avoir accès aux urgences, comme cette journaliste de 34 ans, Tong Wei Jing, qui couvrait pour le Shanghai Evening Post & Mercury le lifestyle et la vie culturelle de la ville, victime le 4 mai, chez elle, d’une crise cardiaque – elle n’a pu être sauvée à temps. Sans parler des suicides : tel celui de ce violoniste shanghaïen de 70 ans, terrassé en pleine nuit par une violente douleur au ventre. Refusé par les urgences, il s’est défenestré à 5 heures du matin. Son épouse était pourtant volontaire à l’hôpital Tongji.
C’est aussi la mort dans l’âme que les directeurs des quarante-cinq musées de Shanghaï, des centaines de galeries d’art de la ville, des salles de cinéma et de théâtre ont baissé le rideau. Victime collatérale des confinements et des restrictions à répétition, la culture est à l’arrêt à Shanghaï, la ville des prodiges, la mégalopole de 27,4 millions d’habitants, la cité du futur qui était appelée à devenir celle d’un monde nouveau en Chine, voire en Asie, guidé entre autres passions par l’amour de l’art contemporain et l’innovation. Musées et galeries tentent certes d’exister en ligne. Mais toucher ces temps-ci l’intérêt et le cœur des collectionneurs paraît presque anachronique. Ce curateur d’un grand musée d’art contemporain de la ville livre, à mots ouverts, sa pensée : « Avec sa force d’attractivité et son soft power, Shanghaï a mis dix ans à se bâtir une réputation d’excellence et d’ouverture à l’art contemporain. Dix ans désormais balayés en deux mois ! La réputation de la ville est ternie. Nul doute que cela aura de fâcheuses conséquences sur les futures programmations ! »
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Chine, la culture à l’arrêt
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°589 du 13 mai 2022, avec le titre suivant : Chine, la culture à l’arrêt