À la Galerie des beaux-arts de Bordeaux, un ensemble exceptionnel de tentures issues de tableaux de Poussin illustre l’art lissier sous Louis XIV.
La peinture intimiste et intellectualisée de Poussin à l’épreuve du grandiose des tapisseries royales : la tenture complète de L’Histoire de Moïse d’après Nicolas Poussin (1594-1665) et Charles Le Brun (1619-1690) est déroulée à la Galerie des beaux-arts de Bordeaux, à l’occasion de l’exposition « Poussin et Moïse. Du dessin à la tapisserie ». Exécutées à partir de 1685 à la Manufacture royale des Gobelins, ces dix tapisseries, qui composent le cœur de l’exposition ,illustrent un art lissier à son apogée dans le luxe de la cour versaillaise. Au moment de la commande, la figure tutélaire de Poussin, mort depuis vingt ans, plane sur l’Académie royale de peinture, dirigée par le Premier peintre du roi, Charles Le Brun. Le projet d’un cycle de tentures issu de l’œuvre du peintre, longtemps à l’étude, est finalement validé par la Surintendance des bâtiments du roi, en 1683-1684, vraisemblablement sur décision de Colbert, puis sous l’égide de son successeur, Louvois. Aux huit tableaux de Poussin, Le Brun ajoute deux de ses propres œuvres pour compléter l’ensemble et rendre hommage au maître.
Tentures théâtrales
Suivant la chronologie des sources littéraires, L’Exode et les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe, les tentures, dont certaines sortent à peine des ateliers de restauration du Mobilier national, sont mises en regard avec les œuvres originales, tableaux et dessins préparatoires de Poussin. Trois toiles sont ici prêtées exceptionnellement par le Musée du Louvre : Moïse sauvé des eaux (1647), Moïse enfant foulant aux pieds la couronne de Pharaon (après 1645) et Moïse changeant en serpent la verge d’Aaron (après 1645). L’art de Poussin est très éloigné des canons utilisés en tapisserie. Ses formats réduits – il s’agit presque uniquement des peintures de chevalet –, sa gestion de l’espace pictural et l’atmosphère si particulière de ses toiles rendent difficile la tâche des lissiers de la Manufacture et des hommes chargés de la transcription en laine et soie du langage peint de Poussin. Pour clarifier l’espace et rendre lisibles les scènes, les cartonniers des Gobelins modifient certains cadrages, ouvrent des arrière-plans fermés sur des paysages décoratifs, éclaircissent les couleurs, jouent des contrastes. Le discours change, le regard porté sur l’espace également. Théâtrales et grandioses, les tentures offrent une vision du luxe inouï de l’art lissier à l’époque où la Manufacture règne en maître dans ce domaine.
Du dessin à la peinture, du carton à la tapisserie, le processus de création et de réinterprétation est richement illustré grâce à des œuvres choisies avec soin. En fin de parcours, les gravures des scènes de L’Histoire de Moïse éclairent la fortune critique de l’œuvre peint et tissé de Poussin, redonnant ses lettres de noblesse à un art fait de soie, de laine et d’or.
Commissariat : Guillaume Ambroise, directeur du Musée des beaux-arts de Bordeaux ; Éric de Chassey, directeur de l’Académie de France à Rome
Commissariat scientifique : Marc Favreau, conservateur en chef du patrimoine au Musée de Bordeaux
Nombre d’œuvres : 46
Itinérance : juin-septembre 2012 à la Manufacture des Gobelins, Paris
Poussin et Moïse, du dessin à la tapisserie
Jusqu’au 26 septembre, Galerie des beaux-arts, place du Colonel-Raynal, 33000 Bordeaux, tél. 05 56 96 51 60, tlj sauf mardi 11h-18h. Catalogue, Éditions Drago, Rome, 122 p., 30 euros, ISBN 978-88-88493-80-0.
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À Bordeaux et ailleurs : Poussin en laine et soie
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : À Bordeaux et ailleurs : Poussin en laine et soie