Politique culturelle

PRÉSIDENTIELLE 2022 ENTRETIEN

Arnaud Zegierman : « La culture permet à un candidat de se singulariser »

Sociologue, directeur associé de l’Institut de conseil Viavoice

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 17 février 2022 - 1143 mots

FRANCE

Le directeur de l’étude commente les appréciations des répondants à l’égard des principaux candidats et donne son point de vue sur la campagne en cours et la place qu’y tient la culture.

Arnaud Zegierman. © D.R., 2021
Arnaud Zegierman.
© D.R., 2021
Comment expliquez-vous le fort jugement favorable à l’égard de Christiane Taubira ?

Il n’est pas surprenant. Christiane Taubira fait souvent référence à des poètes, des écrivains, de sorte que son érudition passe bien auprès des électeurs, ce qui n’était pas le cas par exemple de Jacques Chirac, qui était cultivé mais ne le mettait pas en avant. Les électeurs lui associent l’image d’une intellectuelle, qui donc s’intéresse à la culture. Par ailleurs, elle renvoie parallèlement l’image de cette gauche socialiste traditionnelle, d’une époque où le PS [Parti socialiste] était très associé à la culture. Il est vrai cependant que ce taux est très supérieur à son score dans les intentions de vote, mais il n’est pas très loin de celui d’Anne Hidalgo qui bénéficie elle aussi de l’image culturelle du PS.

Et comment expliquez-vous le score très faible (5 %) de l’écologiste Yannick Jadot ?

Les écologistes n’ont jamais vraiment réussi à s’emparer de problématiques qui ne relèvent pas directement de l’écologie. On retient aussi les polémiques : Sandrine Rousseau et le couscous, les tensions entre écologistes. Par ailleurs, le programme culturel de Yannick Jadot comporte surtout des mesures techniques, compréhensibles pour le milieu de la culture mais pas pour le grand public. De la même manière, Anne Hidalgo « promet de redonner à la culture une place centrale ». Est-ce que ce type de promesse change vraiment les choses ? Permet-il de donner le sentiment qu’il y a une « vista » ?

Marine Le Pen recueille plus de jugements favorables (12 %) qu’Éric Zemmour (9 %), alors que les partisans de ce dernier sont réputés plus cultivés ; comment expliquer cela ?

Commençons par rappeler que l’on est dans la marge d’erreur. En admettant qu’il y ait effectivement 3 points d’écarts, il me semble que Marine Le Pen incarne davantage la démocratisation culturelle qui peut séduire les catégories populaires, plus représentées dans son électorat que dans celui d’Éric Zemmour. C’est sa troisième campagne électorale, elle a une vision de la France bien comprise de sa base électorale. Elle est aussi légitime sur la thématique de la défense du patrimoine (14 %). Donc, au fond, c’est un peu normal qu’elle soit devant Zemmour dont l’électorat est sensible à d’autres dimensions que la dimension culturelle : l’économie, le fantasme de l’immigration qui coûte cher. La culture ne fait pas partie de l’obsession de cet électorat.

Le total des jugements favorables pour les candidats de gauche est de 48 %, contre 45 % pour la droite et même 71 % si l’on ajoute Emmanuel Macron à la droite. Peut-on dire que la Culture n’est plus un marqueur de la gauche ?

On ne peut pas ajouter les votes d’Emmanuel Macron au total des votes de droite car il continue à bénéficier de nombreux votes venant de la gauche. Et je ne dirais pas que la Culture n’est plus un marqueur de la gauche, je dirais plutôt que la gauche n’a pas travaillé son programme culturel depuis la défaite de 2017. Je pense même que la gauche, croyant qu’elle incarne la Culture, a déserté ce terrain. On le voit bien avec les enseignants, très attachés à la culture, qui ne votent plus systématiquement à gauche comme ils le faisaient autrefois.

Malgré l’influence attribuée aux présidents de la République, c’est le ministre détenteur de ce portefeuille qui incarne le plus la politique culturelle, selon les répondants. Cela vous surprend-il ?

C’est très surprenant parce qu’au quotidien, quand on interroge les Français, on se rend compte que l’on est dans un pays très centralisé. Et quel que soit le problème, c’est toujours le président qui est responsable de tout. Si vous avez la moindre tracasserie administrative en France, vous écrivez directement au président !

D’un autre côté, il y a une tradition de ministres de la Culture charismatiques qui se sont illustrés par leur personnalité ou par leurs actions. André Malraux, Jack Lang bien sûr, et à sa manière Roselyne Bachelot, que l’on a beaucoup vue pendant la crise du Covid-19. Donc, effectivement, les Français considèrent que la ou le ministre a son rôle à jouer.

Êtes-vous surpris que pour cette campagne, plus encore que pour les précédentes, la Culture ne soit pas un thème de débat ?

Plus généralement, je suis surpris que dans cette campagne on ne parle absolument pas des thèmes qui intéressent vraiment les Français. Les thèmes actuels de débat, à commencer par l’immigration, n’apparaissent qu’en sixième ou septième place dans leurs préoccupations, selon des études que nous avons menées par ailleurs. Les difficultés du quotidien, la justice – dont les Français pensent qu’elle n’est pas rendue équitablement –, sont des sujets très peu abordés par les candidats ou, soyons honnêtes, peu relayés par les médias. Certains thèmes nouveaux, comme la réindustrialisation de la France, émergent avec un certain consensus alors que cela ne va pas être aussi simple que cela ! Dans ce contexte, la Culture a encore moins de chance de se montrer.

La Culture peut-elle être un enjeu pour la présidentielle 2022 ?

Il est certain que, lorsqu’on interroge les Français sur les thématiques qui peuvent leur faire choisir un président, ce n’est pas la Culture qui arrive spontanément en tête. Pour autant, cela peut être un élément qui permet de distinguer deux candidats et notamment deux candidats de gauche… et il y en a beaucoup en 2022 ! L’électorat de gauche peut être sensible à des idées innovantes sur la culture, qui permettraient à un candidat de se singulariser, voire d’émerger dans son camp.

Les Français, et pas uniquement les CSP+ [catégories socioprofessionnelles les plus favorisées], sont très fiers de leur culture, notamment vis-à-vis de l’étranger, de sorte que même si la Culture ne fait pas gagner une élection présidentielle, elle permet d’affirmer un candidat, de donner de la cohérence à un programme.

Au fond, quand l’offre culturelle est riche, comme c’est le cas en France, c’est un non-sujet ?

Oui, il n’y a pas de problème perçu. Une autre explication tient à ce que les Français placent la Culture à l’échelon local, ayant du mal à distinguer ce qui relève de la Ville et ce qui relève de l’État. Qui plus est lorsqu’il n’y a pas de débat national apportant des éléments d’explication aux électeurs sur ce millefeuille administratif. Pour autant, il revient aux candidats d’imposer leurs thèmes et de démontrer par là même leurs capacités d’entraînement. Le propre de la politique, c’est de trouver des solutions pour les citoyens, y compris lorsque les citoyens n’y ont pas pensé. C’est ainsi que Macron a gagné en 2017, en apportant un discours neuf. Or, en ce moment, en plus d’être d’un conformisme désolant, la campagne est en décalage avec les questions qui sensibilisent vraiment la majorité des Français…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : Arnaud Zegierman, Sociologue, directeur associé de l’Institut de conseil Viavoice : « La culture permet à un candidat de se singulariser »

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