Expertise - Justice

L’expert allemand de Brancusi mis hors de cause

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 27 février 2015 - 783 mots

PARIS [27.02.15] - Le TGI de Paris vient d’écarter la responsabilité de l’expert allemand de Brancusi, recherchée par le propriétaire d’une sculpture estimée inauthentique, bien que le tribunal se soit déclaré compétent pour une expertise réalisée à l’étranger. Mais le débat n’est pas tranché sur l’authenticité du Baiser de 1905.

L’authenticité d’une œuvre d’art est souvent affaire de consensus, mais pour le marché seul fait foi l’avis de l’expert spécialiste de tel ou tel artiste. Le pedigree parfois tourmenté d’une œuvre, les attestations d’un ou de plusieurs experts reconnus, voire l’étude technique de l’objet ne suffisent pas toujours à infléchir l’avis délivré. Sans certificat d’authenticité établi par le spécialiste, l’œuvre est invendable ou, au mieux, subi une très forte décote. Au propriétaire sûr de son fait s’ouvre alors la voie de la justice, non sans peine.

C’est cette voie que Claude Pussot, propriétaire de l’œuvre Le Baiser de 1905 qu’il tient comme étant de Brancusi, a choisi d’emprunter afin de voir constater judiciairement l’authenticité de la sculpture et de voir corrélativement engagée la responsabilité de l’expert allemand Friedrich Teja Bach. Avec l’obligation pour ce dernier de lui délivrer un certificat d’authenticité, d’insérer l’œuvre dans son catalogue raisonné, d’éditer un correctif dans la dernière édition de celui-ci et de l’indemniser de son préjudice matériel et financier à hauteur de 300 000 euros et moral à hauteur de 50 000 euros.

Les deux hommes avaient pris attache par contacts interposés dès 2000, avant que l’expert ne délivre en 2001 un avis négatif, qui n’aurait cependant jamais été remis au propriétaire. Cette position fut réitérée de manière lapidaire en 2013 à l’occasion d’une nouvelle sollicitation en vue de l’inclusion dans la dernière édition du catalogue raisonné de Brancusi, puis en 2014. Et cela malgré les diverses expertises positives, tant stylistiques que techniques, obtenues depuis par Claude Pussot. Selon ce dernier, l’expert aurait alors commis une faute contractuelle en omettant de remettre le rapport d’expertise pendant plus de treize ans et en affirmant sans explications sérieuses l’inauthenticité de l’œuvre, le tout sans émettre de facture pour le travail effectué, ainsi qu’une faute délictuelle causée par son comportement relatif aux conditions de délivrance du certificat.

Mais le tribunal de grande instance de Paris a rejeté, le 10 février 2015, toutes ces prétentions en retenant à l’égard de l’action en responsabilité délictuelle, la seule non prescrite, que « le demandeur ne prouve pas que Monsieur Friedrich Teja Bach se serait rendu responsable d’une abstention fautive en s’en tenant à son avis initial sur l’inauthenticité de l’œuvre puisqu’il n’est pas établi qu’il ne serait pas le fruit de sa réflexion et de sa conviction, exprimées en dehors de toute légèreté blâmable ou intention de nuire ».

Poursuivant, le tribunal fait sienne la solution dégagée par la Cour de cassation le 22 janvier 2014 en soulignant que l’expert « n’était soumis à aucune disposition légale ou obligation le contraignant à céder aux exigences du demandeur aux fins qu’il reconsidère sa position sur la sculpture et, d’autre part, des demandes tendant à la délivrance d’un certificat d’authenticité ou à l’insertion de l’œuvre dans la prochaine édition du catalogue raisonné, son refus à cet égard ne pouvant être fautif à défaut d’un texte spécial, à supposer même l’œuvre authentique ».

La demande en délivrance d’un certificat et en inclusion dans un catalogue raisonné ne peut plus prospérer. En revanche, le tribunal semble réserver une possible mise en cause des experts du fait de la rédaction d’un certificat, lorsque celle-ci est réalisée avec une légèreté blâmable ou une intention de nuire.

Plus étonnant, en revanche, la mise à l’écart de toute responsabilité invalide selon le tribunal la recherche d’authenticité, une telle demande devenant alors « judiciairement sans objet ». Vrai ou faux Brancusi, le débat n’est pas tranché. L’appel interjeté y remédiera peut-être.

L’apport central du jugement réside dans la reconnaissance par le tribunal de sa compétence pour une expertise réalisée à l’étranger. Sur la compétence en matière de responsabilité contractuelle, « il était entendu entre les parties que la prestation de service accomplie devait se matérialiser par la remise d’un document à destination de Monsieur Pussot, résident en France, ce qui justifie la compétence du tribunal puisque le service devait donc être fourni en France au sens de cette disposition ». De même en matière délictuelle, les éventuels « préjudices soufferts en France » justifiaient la compétence territoriale. Quant à la loi applicable, au regard du Règlement Rome I et à défaut de stipulations contractuelles, la loi allemande doit s’appliquer pour la responsabilité contractuelle et la loi française, au regard du Règlement Rome II, dès lors que le dommage allégué serait subi en France. Dans un marché mondialisé, ces précisions sont fort opportunes.

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Le Palais de Justice, à Paris - © Photo Pline - Licence CC BY-SA 3.0

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