Nommée cet été à la direction du Musée des arts asiatiques-Guimet, Sophie Makariou nous livre ses priorités pour redonner un nouveau souffle à cet établissement aux collections prestigieuses.
Vous venez de conduire avec succès l’immense chantier du nouveau département des arts de l’Islam du Louvre. Quelles raisons vous ont poussée à postuler à la direction du Musée Guimet ?
Sophie Makariou : Je suis à un temps de ma vie et de ma carrière. Je n’avais que 34 ans lorsque je me suis lancée dans ce titanesque projet au côté d’Henri Loyrette. Douze ans plus tard, j’ai senti que quelque chose s’achevait. Il est vrai aussi que l’annonce du départ d’Henri Loyrette a précipité ma décision. Cette page tournée, non sans émotion, je souhaitais me réengager pleinement dans un projet collectif.
Vous êtes une grande spécialiste des arts de l’Islam. Quels liens entretenez-vous avec l’Asie et le musée dont vous venez de prendre les rênes ?
Depuis de longues années, je fréquente ce musée et visite ses expositions. Mais je dois dire que ma fascination première pour l’Asie remonte à l’adolescence, lorsque je fréquentais assidûment, à Londres, la Percival David Foundation. C’est dans ce lieu qui ressemblait à un petit cabinet que je suis tombée amoureuse de la céramique chinoise. Aussi, lorsque je me suis inscrite à l’école du Louvre, j’ai souhaité me spécialiser dans ce domaine. Peu séduite par le cours qui portait sur les bronzes d’époque Shang, que je ne connaissais pas à l’époque, j’ai préféré opter pour les arts de l’Islam… et suis devenue ainsi islamisante. Mais je caresse depuis très longtemps le rêve de consacrer une exposition aux rapports entre l’Islam et la Chine, un sujet qui m’est très cher. Quant à l’Inde, c’est un domaine que j’ai abordé par son côté islamique.
En postulant, vous n’ignoriez pas que le musée traversait une crise douloureuse. Dans quel état d’esprit abordez-vous votre nouveau mandat ?
Je ne serai pas un conservateur de plus, mais plutôt un chef d’orchestre qui aidera chacun à jouer au mieux sa partition. Par le passé, on n’a pas suffisamment mis en lumière les compétences du personnel scientifique, qui sont remarquables. Il faut doper la confiance et l’enthousiasme des équipes, leur redonner l’envie autour d’un projet culturel aux orientations clairement définies.
Quelles sont vos priorités ?
Il faut tout d’abord redonner son nom à ce musée : Guimet est un nom intime, franco-centré, que trop peu de personnes connaissent. Or nous avons la chance de posséder à Paris la plus grande collection d’arts asiatiques en dehors de l’Asie. Il faut donc rebaptiser logiquement l’établissement « Musée national des arts asiatiques-Guimet ». Par ailleurs, la muséographie a été pensée il y a une vingtaine d’années, réalisée il y a plus de dix ans. Elle est très élégante et dépouillée, mais la médiation avec le public se révèle quasi inexistante. Il convient de renforcer la dimension pédagogique du parcours, de mieux faire comprendre les œuvres et le contexte dans lequel elles sont nées. C’était d’ailleurs l’horizon que s’était fixé au XIXe siècle Émile Guimet, qui souhaitait avant tout faire comprendre les civilisations de l’Asie. Or cet aspect s’est étiolé au fil du temps. Enfin, il faut repenser l’offre offerte au public. Nous avons la chance d’être au cœur d’une zone de musées, non loin du Palais de Tokyo, du Palais Galliera et de la Cité de l’Architecture. Il faut créer une synergie entre ces institutions, tisser des partenariats.
À ce propos, quelle Asie souhaitez-vous montrer ?
Le Musée Guimet ne décrochera pas de ses missions fondamentales et continuera d’exposer l’art des grandes civilisations de l’Asie. Pour autant, nos expositions ne doivent pas s’inscrire uniquement dans la perpétuation d’une certaine tradition. Il convient d’aborder de nouveaux territoires pour toucher d’autres publics. Je rêve ainsi d’une exposition sur l’architecte et designer américain d’origine japonaise George Nakashima ou d’une exposition sur l’art du papier plié japonais magnifiquement réinventé par Noguchi. C’est d’ailleurs une réflexion à mener sur notre politique d’acquisitions. Quant à la place de l’art contemporain au sein de la programmation, il ne s’agit nullement de la supprimer. Mais il faut éviter la posture, le saupoudrage, comme cela a été parfois le cas dans le passé.
Les espaces dévolus aux expositions sont particulièrement exigus, pour ne pas dire ingrats. Comptez-vous repenser certains aspects de la muséographie ?
-Il est évident que les contraintes de ce lieu (absence de hauteur sous plafond, obscurité, nombreuses portes de service) ont tendance à plomber les expositions ! Il faudrait réfléchir à amener dans ces espaces des collections qui supportent un espace sombre et restreint. On peut rêver de l’hôtel Heidelbach voisin – qui abrite le panthéon bouddhique du MNAAG – pour y abriter les expositions temporaires ; on perd cependant sur les surfaces. Nous souhaitons aussi réfléchir sur une politique tarifaire de billet jumelé qui invite le public des expositions temporaires à revenir visiter les collections permanentes du musée durant un laps de temps à déterminer.
Comment pensez-vous doper la fréquentation de ce musée et changer son image ?
La fréquentation a amorcé une remontée ; je pense qu’à l’automne la magnifique exposition « Angkor, naissance d’un mythe » va appuyer cette courbe. Il faut aussi redorer notre blason, prendre notre bâton de pèlerin pour renouer des partenariats à l’étranger avec les plus grandes institutions muséales. Je souhaite ainsi signer un accord avec la Chine pour exposer régulièrement les grandes découvertes archéologiques faites sur son sol. Il faut aussi davantage s’adresser au public asiatique, qui vient de plus en plus visiter nos collections, et traduire nos guides en mandarin, en coréen, en japonais.
J’ai la conviction que ce musée est inscrit dans un temps qui lui est favorable. Comme tout établissement muséal, il a un rôle de politique étrangère à jouer. Le futur Musée national des arts asiatiques est un projet, c’est un processus en construction.
Sophie Makariou, 46 ans, a commencé son parcours de conservateur en 1994. Elle a assumé la responsabilité du redéploiement des collections nationales des arts de l’Islam du Louvre avant de prendre la direction de Guimet.
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Sophie Makariou : « Il faut redorer le blason de Guimet »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Sophie Makariou : « Il faut redorer le blason de Guimet »