Sophie Makariou dirige le Musée national d'arts asiatiques-Guimet depuis cinq mois. Elle dévoile les grandes lignes de son projet.
Après avoir dirigé le département des Arts de l’Islam du Musée du Louvre, Sophie Makariou a été nommée à la tête du Musée des arts asiatiques-Guimet (MNAAG), il y a tout juste cinq mois. Cette femme réputée énergique entend redonner sa fierté à cet établissement, dont la fréquentation n’était plus à la hauteur de la richesse de ses collections, mais qui connaît une embellie en 2013. Tout juste de retour de Chine, où elle a visité un grand nombre de musées et de sites archéologiques, Sophie Makariou livre quelques-uns de ses futurs projets.
Après ces premiers cinq mois passés à la tête du Musée des arts asiatiques-Guimet, quel premier bilan dressez-vous ?
Permettez-moi de louer, en premier lieu, le travail des équipes du musée. Je dois dire que l’exposition consacrée à Louis Delaporte et le Cambodge a été un très beau cadeau d’arrivée. En accueillant 105 000 visiteurs, elle s’est classée au troisième rang des expositions qui ont rencontré le plus de succès au musée (la première étant celle consacrée à Hokusai en 2008, la deuxième, celle qui dévoilait en 2006 les trésors retrouvés d’Afghanistan). Nous avons terminé l’année 2013 avec 420 000 visiteurs, ce qui fait à nouveau du Musée Guimet un lieu d’exposition fort, au cœur de Paris. Pour autant, nous n’avons pas la capacité à accueillir des masses de touristes comme Orsay ou le Louvre. Nous sommes, selon la jolie expression de J.-M.G. Le Clézio, un « musée-monde », dont la richesse des collections et la programmation variée doivent inciter les visiteurs à revenir. À nous d’aller chercher des publics différents, attirés par « une autre Asie ».
Par quels moyens comptez-vous parvenir à cette reconquête des publics ?
Dans un premier temps, il convient de rendre visible ce qui ne se voit pas. Nous allons ainsi organiser deux rendez-vous dans l’année pour mettre en lumière l’extraordinaire fonds japonais du musée. Songez que le musée possède quelque 11 000 estampes ! Notre établissement conserve aussi un ensemble de photographies anciennes sur l’Asie tout à fait remarquable. Nous consacrerons ainsi chaque année une exposition de photographie, qui devrait séduire un public intéressé par cet art, au-delà de l’Asie. Le MNAAG est aussi la maison de la photographie de l’Asie en Europe, il faut le dire.
Quelle sera la fréquence des expositions ?
Il y aura toujours un événement nouveau au Musée national des arts asiatiques-Guimet. Nous alternerons ainsi deux types d’expositions : aux côtés des deux grandes expositions qui seront programmées dans les espaces du sous-sol au printemps et à l’automne, quatre expositions thématiques seront proposées dans la Rotonde de la Bibliothèque. Ce calendrier ménagera ainsi des temps forts tout au long de l’année.
À ce propos, avez-vous résolu le problème des espaces du sous-sol, jugés trop contraignants et exigus par la plupart des conservateurs ?
À notre arrivée, nous avions caressé le rêve de récupérer les magnifiques espaces des galeries du Panthéon bouddhique, inaugurées en 1991 dans l’ancien hôtel Heidelbach, à quelques encablures du Musée Guimet. Hélas, les contraintes du lieu, qui réserve là aussi très peu de place pour présenter des expositions, sont telles que nous avons dû abandonner cette idée. Je ne vous cache pas que nous réfléchissons à trouver une solution pour régler cet épineux problème… Elle commence à se dessiner mais il faut encore l’étudier.
Autre question qui fait généralement débat, quelle sera la place de l’art contemporain au sein du musée ?
Le Musée des arts asiatiques-Guimet ne doit pas s’arrêter au seuil du XXe siècle. Pour autant, nous ne jugeons pas utile d’aller tous azimuts, sur tous les terrains. Il faut trouver les bons chemins pour faire venir le public et ne pas sombrer dans la facilité ou le gadget. Nous sommes en train de faire entrer dans nos collections un fonds important de calligraphies japonaises contemporaines. Ce sera ainsi l’occasion de montrer périodiquement la pérennité de cette discipline. La production de mangas doit, elle aussi, trouver naturellement le chemin du Musée Guimet. Pour les prochaines années, nous avons aussi un projet avec la fondation Matsuzakaya, qui possède, avec ses 10 000 numéros inventoriés, la plus grande collection de kimonos anciens au monde. Cette maison de négoce existe en effet au Japon depuis près de quatre cents ans ! J’aimerais faire venir la mode au musée, de tisser des partenariats avec des institutions comme le musée des Arts décoratifs.
Le Musée des arts asiatiques-Guimet possède également une longue tradition d’expositions à caractère archéologique. Allez vous poursuivre dans cette veine ?
Je reviens tout juste de Chine, où j’ai eu la chance de visiter des musées de province et d’avoir un infime aperçu de sites archéologiques d’une richesse inouïe. Or, aussi incroyable que cela puisse paraître, les liens du musée avec la République populaire de Chine s’étaient étiolés depuis une dizaine d’années. Au moment où l’on s’apprête à célébrer le cinquantenaire des relations diplomatiques franco-chinoises, il était plus qu’urgent de renouer les liens. Ce sera chose faite en octobre prochain, où nous présenterons une exposition consacrée à la grande civilisation des Han (206 av. J.C.-220 ap. J.C.). À cette occasion, les plus grands musées de province ont accepté de se séparer de pièces exceptionnelles et nous présenterons quelques-unes des dernières découvertes archéologiques effectuées sur le sol chinois.
L’autre pays avec lequel nous allons monter une exposition d’envergure est la Corée du Sud. À titre d’information, la dernière grande exposition d’archéologie coréenne s’est tenue à Paris en 1946, au Musée Cernuschi, et il n’y a même pas la trace d’un catalogue ! Le vrai défi sera de présenter la période des Trois Royaumes et d’évoquer ainsi, par le biais de l’archéologie, le processus de formation de la Corée, bien avant la partition… Plus en aval, nous aborderons le Népal et traiterons aussi de grands sujets transversaux comme les arts du spectacle en Asie, ou la figure du Bouddha. Mais nous avons aussi d’autres projets de collaboration avec l’Inde, le Cambodge, le Vietnam. Nous souhaitons ainsi monter de vrais partenariats scientifiques, inviter ces pays à travailler chez nous. C’est le même esprit qui nous anime lorsqu’en France nous renouons des liens avec des établissements d’excellence, comme l’École normale supérieure ou l’INP (Institut national du patrimoine). Depuis sa création, le Musée des arts asiatiques-Guimet a toujours été un pôle de recherche et il doit le rester.
En ces temps de crise économique, la recherche de mécénats s’impose avec d’autant plus d’acuité. Quelles directions allez-vous prendre ?
Nous redimensionnons le mécénat pour nous tourner vers l’international. Je ne vous étonnerai pas en vous confiant que les « poches d’air » à trouver sont du côté de l’Asie. C’est à nous d’aller chercher ces nouveaux mécènes asiatiques, qui nous aideront à développer des projets, avec l’aval scientifique des conservateurs. Je reviens à la Chine, qui est redevenue la première puissance commerciale du monde. N’oublions pas qu’elle l’était déjà au XVIIIe siècle et que ses produits du luxe (le thé, la soie, le jade, la porcelaine…) déferlaient sur l’Europe et constituaient la moitié de la totalité des richesses échangées à travers le monde. Or, j’aime rappeler que les liens entre notre établissement et ce pays sont particulièrement étroits. Le musée a toujours joué un rôle de pionnier dans l’acquisition de pièces chinoises. Guimet, c’est ainsi 125 ans de collection et de passion partagée. Une dimension patrimoniale et diplomatique qu’on aurait tort de sous-estimer…
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Sophie Makariou : « Nous cherchons des publics différents »
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Sophie Makariou © Photo : Didier Plowy / Musée Guimet
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Sophie Makariou : « Nous cherchons des publics différents »