Patrimoine

René Rémond : Monument historique cherche acquéreur

Par Eva Bensard · Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2003 - 1303 mots

La commission Rémond préconise le transfert vers les collectivités territoriales de 162 monuments nationaux.

Les collectivités territoriales pourraient devenir propriétaires de 162 monuments historiques. Telle est la conclusion de l’étude menée par la commission René Rémond, chargée par Jean-Jacques Aillagon de déterminer la liste des monuments susceptibles d’être décentralisés. L’historien et président de la Fondation nationale des sciences politiques répond à nos questions.

Pourquoi, selon vous, avez-vous été choisi par Jean-Jacques Aillagon pour présider cette commission ?
C’est au ministre de la Culture qu’il faudrait le demander ! Il a sans doute fait appel à moi parce que je suis historien, que je m’intéresse aux symboles en politique ainsi qu’aux problèmes liés à la mémoire nationale. Or le patrimoine architectural possède une dimension symbolique, et certains de ses monuments appartiennent à la mémoire de la nation. Le ministre souhaitait en outre probablement confier cette responsabilité à une personnalité indépendante, qui n’appartienne pas à l’administration.

Qui composait cette commission ?
Comprenant 14 membres, celle-ci regroupait des élus (Jacques Legendre, sénateur du Nord, Henry Nayrou, député de l’Ariège, Yann Gaillard, sénateur de l’Aube…), de hauts fonctionnaires de la délégation de l’Architecture et du Patrimoine (Gérard Aubin, Colette di Matteo, François Macé de Lépinay, Benjamin Mouton…) et des historiens d’art (Bruno Foucart, Jean-Michel Leniaud, Dominique Ponnau).

Comment avez-vous procédé ?
Il fallait dans un premier temps définir des critères objectifs pour les 298 monuments soumis à notre appréciation. Des groupes de réflexion ont été constitués, en fonction des types de sites : sites archéologiques ; châteaux, résidences royales et palais ; monuments religieux (à l’exception des 87 cathédrales, restées dans le giron de l’État)… Différents critères ont ainsi pu être dégagés, puis affinés.

Quels sont ces critères ?
Premier élément pour déterminer ce qui doit continuer à relever de l’État : ce qui fait partie de la mémoire de la nation. C’est le cas des champs de bataille et des cimetières militaires, des palais dits « nationaux », dont beaucoup ont été les résidences des dynasties qui ont régné sur la France, des monuments associés à notre histoire, comme celui de Villers-Cotterêts, où a été signé l’édit qui a fait du français la langue de l’État et de la nation. La deuxième considération en faveur de l’attribution à l’État a été la notoriété internationale et le rayonnement, qui font d’un monument un élément du patrimoine européen ou universel. C’est le cas par exemple de l’abbaye de Cluny, qui a essaimé sur tout le continent européen, ou des sites archéologiques éponymes dont le nom date des âges de la préhistoire (La Gravette pour le Gravettien, La Madeleine pour le Magdalénien…). Mais d’autres préoccupations ont milité pour le maintien dans la mouvance de l’État, comme le principe de précaution, qui a dicté la conservation de sites (ainsi les grottes ornées) dont l’entretien exige des compétences et des moyens techniques que l’État est seul à détenir. Au total, sur les 298 monuments ou sites étudiés, nous avons suggéré que 136 restent dans le giron de l’État. Le transfert vers les collectivités territoriales nous a paru « possible » dans 78 cas et « souhaitable » dans 84 autres (lire l’encadré). Il nous a semblé que, selon le principe de proximité, les collectivités et les citoyens entretiendraient mieux les monuments chers à la mémoire d’une ville ou d’une région, telles les maisons d’écrivain ou de personnalité. Nous avons aussi privilégié la simplification administrative, et donc cherché à favoriser les remembrements de monuments dépendant de plusieurs propriétaires. Ainsi avons-nous généralement proposé le transfert des tours aux villes qui avaient déjà la propriété de l’enceinte, comme les tours de La Rochelle ou la tour Solidor à Saint-Malo.

Quelles seront les modalités de ces transferts ? Les collectivités territoriales sont-elles d’après vous vraiment armées pour la mise en valeur de ce patrimoine ?
Nos propositions sont entre les mains du ministre, qui pourra ou non les retenir. La liste des monuments « transférables » sera définitivement arrêtée par un décret en Conseil d’État, après le vote de la loi relative aux responsabilités locales dont une disposition prévoit le transfert à titre gratuit, aux collectivités locales qui en feront la demande, de certains monuments appartenant à l’État. Mais les collectivités territoriales (surtout les communes et les départements) ne seront peut-être pas preneuses. Des formules de partenariat entre l’État et les collectivités sont envisagées. Les préfets joueront notamment un rôle d’intermédiaire, et pourront arbitrer entre les demandes émanant des villes, des départements ou des régions.

N’y a-t-il pas un danger de voir se « territorialiser » un patrimoine à vocation universelle ?
Non, je ne le crois pas. L’État ne brade pas ses monuments et n’abdique pas ses responsabilités. Même s’il n’en est plus le propriétaire, il reste le gardien du patrimoine. Il mettra donc à la disposition des collectivités les moyens techniques et financiers nécessaires à l’entretien et à la restauration des édifices. Les transferts de monuments n’auront lieu que s’ils sont susceptibles de se traduire par un mieux. Ils se feront dans le cadre de conventions entre l’État et les collectivités. Il y aura des modalités particulières en fonction de chaque site.

Ces transferts posent la question du devenir de Monum, Centre des monuments nationaux…
Dans nos propositions, le Centre conserve plus de la moitié de ses monuments. La décentralisation du patrimoine fera peut-être évoluer le rôle de cette institution vers celui de conseil et d’expert technique pour les sites autres que ceux dont il a la gestion directe.

En conclusion de votre rapport, vous suggérez d’étendre les critères retenus pour les monuments relevant du ministère de la Culture aux autres administrations de l’État…
En effet. Les quelque 400 sites et monuments gérés par le ministère de la Culture ne représentent qu’une partie du domaine de l’État. D’autres ministères ont des monuments qui intéressent la mémoire nationale : la Défense, qui possède des forts et des casernes de première importance, la Santé, qui administre notamment l’hôpital Saint-Louis ou La Salpêtrière à Paris, l’Éducation nationale (le lycée Henri-IV…), etc. Or ces ministères ont leur propre politique immobilière. Celui de la Défense a par exemple aliéné de nombreux monuments. Si les pouvoirs publics retiennent nos critères, pourquoi ceux-ci ne devraient-ils pas être appliqués à toutes les administrations de l’État ? Notre travail pourrait à cet égard être pionnier.

Les monuments conservés ou transférables

- Conservation par l’État Alsace : palais du Rhin, champs de bataille de la Tête-des-Faux et du Linge Aquitaine : quasi-totalité des sites préhistoriques des Eyzies-de-Tayac-Sireuil Auvergne : oppidum de Gergovie Bourgogne : abbaye de Cluny Bretagne : alignements mégalithiques de Carnac Centre : châteaux de Chambord et d’Azay-le-Rideau. Champagne : abbaye de Clairvaux Île-de-France : plus de 35 monuments Languedoc : cité médiévale de Carcassonne, chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, pont du Gard… Limousin : Oradour-sur-Glane Midi-Pyrénées : grotte ornée de Niaux Normandie : abbaye du Mont-Saint-Michel Pays de la Loire : château d’Angers, abbaye de Fontevraud PACA : château d’If, abbaye du Thoronet Rhône-Alpes : église de Brou, grotte Chauvet - Transferts « possibles » Alsace : château du Haut-Kœnisgsbourg Bourgogne : château de Bussy-Rabutin, sites d’Alésia et de Solutré Centre : palais Jacques-Cœur à Bourges, maison de George Sand à Nohant, châteaux de Chaumont, Fougères et Talcy Ile-de-France : portes Saint-Denis et Saint-Martin Languedoc : fort Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon, remparts et logis du gouverneur d’Aigues-Mortes Normandie : abbaye de Jumièges, château de Carrouges PACA : abbayes de Montmajour et de Silvacane, château du Roi René à Tarascon - Transferts « souhaitables » Aquitaine : château de Puyguilhem Auvergne : château de Saint-Floret, abbaye Saint-André de Lavaudieu, site de Lezoux Bretagne : maison d’Ernest Renan, châteaux de Kerjean et du Taureau Centre : oppidum des châteliers d’Amboise, Tour de César Île-de-France : Musée de la vie romantique Nord : villa Cavrois Normandie : abbaye du Bec-Hellouin PACA : hôtel de Sade (Saint-Rémy-de-Provence)

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°182 du 5 décembre 2003, avec le titre suivant : René Rémond : Monument historique cherche acquéreur

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