Lors d’un colloque organisé à Paris, des spécialistes ont fait le point sur le patrimoine à Gaza, entre cycles de destructions et initiatives de sauvegarde.
Paris. Les sites patrimoniaux à Gaza couvrent une période s’étendant de la fin du Néolithique (IVe millénaire av. J.-C.) à la période ottomane (XVIe siècle à 1922) : le sous-sol regorge donc de vestiges, enfouis sous une épaisse couche de sédiments et de débris récents. Depuis les années 1990, plusieurs missions de fouilles archéologiques ont mis au jour des sites remarquables, mais leur protection reste un défi. Lors d’un colloque organisé le 12 septembre au Carep (Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris), le Père Jean-Baptiste Humbert (École biblique et archéologique française, Ébaf, Jérusalem) a rappelé que, lorsqu’il a commencé à fouiller à Gaza au milieu des années 1990, « il n’y avait pas de service des Antiquités viable ». Avec le soutien du ministère français des Affaires étrangères, l’archéologue dominicain s’est vu confier la mission d’assister les Palestiniens dans la création d’un tel service. Au fil des années, un département des Antiquités a bien vu le jour, mais le Père Humbert souligne « les empêchements constants », et qualifie toute activité de fouille à Gaza d’archéologie « interrompue ». Entre la situation politique locale et les opérations militaires israéliennes des années 2000, son chantier de fouilles sur le site antique d’Anthédon a longtemps été à l’arrêt. C’est une des caractéristiques de la protection du patrimoine à Gaza : les projets à long terme se révèlent impossibles, et les campagnes de bombardements depuis le 7 octobre 2023 aggravent la situation.
Plusieurs sites de Gaza ont souffert de ces bombardements et des opérations militaires au sol, comme l’a rappelé l’archéologue René Elter (Ébaf, Jérusalem). Après presque un an de guerre, il devient possible de confirmer l’étendue des destructions : photographies à l’appui, René Elter cite ainsi des colonnes hellénistiques et romaines stockées dans un dépôt près du site de Jabaliya qui ont été « détruites par des bulldozers ». Le site d’Anthédon a été partiellement détruit, ainsi que le monastère de Saint-Hilarion. En outre, une partie des artefacts du site entreposés au musée historique du Pacha ont été perdus dans la destruction du bâtiment. René Elter est revenu sur l’affaire de l’entrepôt de l’Ébaf occupé par l’armée israélienne début 2024. D’après plusieurs témoins, les collections présentes dans l’entrepôt seraient finalement intactes : il s’agit du dépôt de toutes les fouilles françaises à Gaza depuis 1995, soit des milliers de pièces. Plusieurs autres sites ont été endommagés, ainsi que des cimetières, des mosquées (grande mosquée Al-Omari) et des églises (Saint-Porphyre). Les intervenants ont souligné que ces atteintes au patrimoine ne sont pas nouvelles, notamment la destruction partielle de la mosquée Al-Omari en 2014 (à la suite de l’opération « Bordure protectrice »). Ils ont pointé l’usage de bulldozers par l’armée israélienne pour raser des quartiers entiers après le passage des avions.
Le colloque a mis en lumière la destruction en janvier 2024 du musée privé Al-Mathaf à Gaza City [voir ill.]. Son fondateur, l’entrepreneur Jawdat Khoudary, a dit avoir constitué sa collection par passion avant de songer à créer un musée. Céramiques, pièces de monnaie, colonnes hellénistiques, éléments de décors sculptés : la collection comptait plus de quatre mille pièces. Aidés par les conservateurs du Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève, Jawdat Khoudary et l’Autorité palestinienne avaient entamé les démarches pour fonder le « musée national d’archéologie ». Selon le conservateur Marc-André Haldimann, la Ville de Genève avait soutenu le projet de musée activement, et « la Ville de Genève et l’Autorité palestinienne [avaient] signé une convention » sous le patronage de l’Unesco pour accompagner le processus. En 2008, c’est finalement un musée privé construit par Jawdat Khoudary qui ouvre, à la suite du coup de force du Hamas. En 2007, une partie de sa collection avait été montrée à Genève au MAH : ces 260 pièces sont toujours à Genève en raison d’obstacles administratifs qui les ont finalement protégées. Le musée Al-Mathaf constituait jusqu’à 2023 l’unique musée archéologique de la bande de Gaza, il est aujourd’hui en ruines. Jawdat Khoudary a raconté au colloque avoir fui vers l’Égypte en urgence à la fin de l’année 2023, sans avoir eu le temps de mettre l’ensemble de sa collection à l’abri. Il a découvert quelques semaines plus tard que son musée, sa résidence et le jardin oriental attenant avaient été pillés et détruits : les photographies prises par un témoin montrent des murs abattus, des vitrines brisées, des traces d’incendie et des tags en hébreu. Du jardin qui comptait « un millier d’espèces végétales », il ne reste qu’un terrain vague. Quant à la collection, Jawdat Khoudary dit avoir perdu « trente ans de travail acharné ».
Il existe cependant des initiatives pour sauvegarder ce patrimoine, comme le projet « Intiqal » porté par René Elter avec l’ONG Première Urgence internationale : avec le soutien de la fondation Aliph et du British Council, ce projet forme des jeunes diplômés aux métiers du patrimoine et aux fouilles archéologiques. Ces futurs archéologues ont contribué à protéger les sites de Gaza en construisant des murs autour des fouilles, en déplaçant les artefacts en lieu sûr, en documentant les destructions. Documenter les atteintes au patrimoine, c’est aussi l’objectif du projet « Gazahistoire » sous l’égide de l’historien Fabrice Virgili (CNRS). Avec les informations fournies par l’Unesco et par des témoins locaux, les chercheurs créent une carte interactive des sites patrimoniaux de Gaza qui comporte une notice détaillée régulièrement mise à jour. Comme l’affirme le Père Humbert, il est important de procéder de manière « conservatoire », car « il faut garder dans Gaza le patrimoine de Gaza ».
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Protéger le patrimoine de Gaza, une gageure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Protéger le patrimoine de Gaza, une gageure