POMPEI / ITALIE
Face à la situation alarmante du site archéologique situé près de Naples, les autorités italiennes ont mis en œuvre il y a cinq ans un plan de restauration et de valorisation de plus de 100 millions d’euros. Si les effets positifs commencent à se faire sentir, illustrés par la réouverture de plusieurs « domus », l’afflux de près de 3 millions de visiteurs par an et le retour de grands concerts semblent peu compatibles avec la fragilité des ruines.
POMPEI - Le 6 novembre 2010 la Maison des Gladiateurs de Pompéi s’effondrait sous le poids de la pluie et de l’incurie. L’écho de cet écroulement se répandit à travers le monde entier. Depuis, cinq ministres, cinq directeurs de Surintendance, 105 millions d’euros, au moins cinquante chiens errants, cinq années et plus de 13 millions de visiteurs… sont passés sur ce site archéologique unique au monde.
Toutefois, la ruine de la Maison des gladiateurs a représenté, dans l’Italie des paradoxes, une opportunité pour Pompéi. Avant, la ville ancienne se délitait dans le silence ; après, la pression médiatique a été tellement forte et la situation du site s’est révélée si grave que le gouvernement a décidé de démarrer, en 2011, le Grande Progetto Pompei (Grand Projet Pompéi), devenu, en 2012, l’un des grands projets de l’Union européenne.
Aujourd’hui se promener sur les voies dallées donne l’impression de traverser une ville frappée, non pas par l’éruption du Vésuve (celle de 79 apr. J.-C.), mais par un tremblement de terre : des dizaines et dizaines de mètres de travaux, partout des échafaudages, un gigantesque chantier en plein air. Cependant, ce n’est pas la terre qui a tremblé, mais plutôt les institutions italiennes qui, dans les dix dernières années et jusqu’au début du projet, ont conduit à faire de Pompéi ce symbole d’une Italie fatiguée, endettée jusqu’au cou et corrompue. Mais c’est en 2014, avec l’arrivée à la direction de la Surintendance de l’archéologue Massimo Osanna, que le vent a tourné et aussi que le Grand Projet Pompéi a pris son élan. Ce plan, qui se veut un modèle pour de futures initiatives européennes, s’articule autour de cinq lignes directrices : la connaissance du site, les travaux de restauration, la valorisation et la communication, la surveillance.
Le 23 décembre 2015, en présence du président du Conseil italien, six bâtiments célèbres ont été rouverts au public, après restauration : la fullonica de Stephanus et les maisons du cryptoportique, de Paquius Proculus, de l’éphèbe, de Fabius Amandius et des amants chastes. Cette première étape est un symbole fort pour les nombreux atouts du Grand projet Pompéi.
Un plan ambitieux, doté d’importants moyens
Avec ce grand projet, la Surintendance de Pompéi dispose d’un budget extraordinaire de 105 millions d’euros (dont 78 millions venant des fonds régionaux européens et le reste du gouvernement italien), tandis que le budget ordinaire s’élève à environ 25 millions d’euros. Le cœur du Grand Projet Pompéi est le plan de restauration. Son but premier est d’arrêter les effondrements de maisons et de sécuriser la partie fouillée (44 hectares) qui, comme toute la zone restant à explorer (environ 22 hectares), présente également un risque hydrogéologique élevé et nécessite de canaliser les eaux de pluie. Environ 80 millions du budget total sont destinés à ces mesures de sécurité et à la restauration des domus les plus endommagées. À présent, l’objectif a été atteint à 50 % et la Surintendance compte achever cette phase en 2017.
Le plan de restauration risquerait toutefois de n’être qu’une solution temporaire si le Grand Projet Pompéi ne comptait aussi un plan scientifique de numérisation : « Grâce à l’énorme archive digitale qu’on a créée, explique Massimo Osanna, tout est fiché et documenté avec des technologies très modernes : photos orthorectifiées, scanner laser, un nouveau plan à l’échelle 1/50e. Cela nous permettra de réaliser l’entretien ordinaire du site, sans qu’à l’avenir, il n’y ait besoin d’un nouveau Grand Projet Pompéi. »
À côté des interventions sur les structures, le projet prévoit également un plan de communication et de valorisation du site archéologique. Plusieurs de ces initiatives ont été présentées à Pompéi le 11 avril. Ainsi, des profils sur les réseaux sociaux ont été ouverts et un nouveau logo a été créé, pour lequel la Surintendance a préféré le nom latin (et anglais) de la ville – Pompeii – suivi de la mention « Tempus, Vita », pour éloigner l’image de la fin du site archéologique et signifier au touriste qu’à travers sa visite aux fouilles, il peut comprendre le temps et la vie. Un nouveau petit plan et un guide – disponible en huit langues – ont été publiés, tandis que la nouvelle signalisation (aujourd’hui, on se perd très facilement), le nouveau portail web et un bracelet de radio-identification sont en cours de réalisation. Ce dernier, en particulier, permettra aux visiteurs d’entrer et sortir du site six fois au cours de la journée. Ce plan de valorisation prévoit aussi la possibilité de télécharger des applications gratuites, qui permettront aux touristes de suivre des itinéraires thématiques, en se répartissant de manière plus homogène sur l’ensemble du site. En outre, à partir des prochaines semaines, des installations multimédias nocturnes seront disponibles, ainsi qu’une expérience virtuelle dans l’Antiquarium restauré : ici le visiteur pourra se plonger dans le quotidien des anciens habitants de Pompéi.
La mafia sous contrôle
Qui dit Italie, dit aussi mafia. À ce propos, l’un des aspects les plus novateurs du Grand Projet Pompéi est sans doute « le groupe de la légalité ». Ce groupe de travail (composé d’un préfet et de représentants ministériels) surveille les appels d’offres et vérifie les certificats antimafia demandés aux entreprises adjudicataires. C’est peut-être un hasard, mais alors qu’en janvier 2014 les adjudicataires étaient pour la totalité des entreprises issues de la Campanie, en décembre 2015 cette proportion est retombée à 49 %, laissant le reste des participants se répartir parmi huit régions italiennes. À cela, il faut ajouter que le 21 décembre 2015 a été inauguré le « Portail de la transparence », qui permet l’accès aux données relatives à la gestion du site et des travaux. En outre, le ministre des biens culturels Dario Franceschini doit présenter tous les six mois aux parlementaires un état d’avancement du projet. Sans compter que la Communauté européenne, ainsi que l’Unesco et le gouvernement italien, envoient périodiquement à Pompéi des délégués pour des vérifications : la dernière inspection communautaire remonte au 14 avril 2016. Il y a aussi un détail, qui n’en est pas un : le Grand Projet Pompéi est dirigé par un général directeur, plus que par un directeur général : le général Luigi Curatoli, qui a lui-même succédé à un autre militaire, le général des carabiniers Giovanni Nistri.
Des handicaps à surmonter
Et alors, tout va bien ? Évidemment non. « Au lieu de créer une grande infrastructure pour gérer dans le futur l’œuvre de conservation extraordinaire produite par le Grand Projet Pompéi, nous pensons qu’à Pompéi on travaille encore dans la logique des interventions d’urgence. Si on s’interrogeait sur ce qu’il adviendrait des domus restaurées dans deux ans, il n’y aurait pas de réponse convaincante », remarque Antonio Irlando, architecte et responsable de l’Observatoire pour le patrimoine culturel. Un des problèmes du Grand Projet Pompéi réside dans le fait que, comme les inspecteurs de l’Unesco l’ont remarqué, jusqu’en 2013 tout est allé très lentement, tandis que l’on assiste maintenant à une course contre la montre.
Un autre dossier critique est la gestion des flux touristiques (près de 3 millions de visiteurs en 2015). Si d’un côté les applications annoncées permettront une meilleure répartition des visiteurs sur le site, évitant que certaines domus soient complètement envahies (et dégradées) par la foule, la couverture du site en wi-fi n’a toujours pas été réalisée. Dimanche 3 avril (l’un des « Dimanches au musée ») une foule de 30 000 personnes s’est déversée sur le site. Un des gardiens a confié au Journal des Arts (en patois) : « Se l’hanno mangiato o’scavo », qui littéralement signifie « ils ont mangé les fouilles », avec le risque de dégrader les lieux.
Antonio Irlando a montré des photos dans lesquelles on voit des touristes en train d’utiliser une colonne ancienne pour pique-niquer : « Je peux témoigner qu’on a assisté à des scènes intolérables pour la conservation de Pompéi ». Et le surintendant Massimo Osanna a admis qu’il a été difficile de gérer une telle foule. Le problème est lié aussi à un manque de personnel, et pas seulement lors des journées où l’accès est gratuit. Actuellement, la société privée ALES fournit du personnel, mais elle n’est pas bien vue par les syndicats et l’ on se demande ce qu’il adviendra de ce déficit en gardiens et techniciens à la fin du Grand Projet Pompéi.
Enfin, il y a de grands événements à venir. Jusqu’en 2017, est visible une exposition des sculptures d’Igor Mitoraj, au risque de brouiller l’image du site en faisant de Pompéi une vitrine au lieu de valoriser le site. De grands concerts font aussi parler du lieu : celui de l’ancien Pink Floyd David Gilmour qui signe son retour dans la cité, 45 ans après Live at Pompeii, puis celui d’Elton John. Le surintendant affirme pourtant tout avoir sous contrôle, car l’amphithéâtre qui accueillera les concerts (aujourd’hui occupé par une pyramide noire qui empêche d’en profiter) est tout proche d’une des entrées et que les places sont numérotées. Toutefois, comme le relève Antonio Irlando, un site archéologique et une salle de concert ont des exigences et des règles très différentes. De fait, les vibrations produites par la musique peuvent être problèmatiques pour les monuments anciens, l’une des raisons pour lesquelles il n’y a plus de concerts au Colisée de Rome, par exemple.
À ce stade, il est difficile de se prononcer sur l’efficacité du plan à long terme, mais une chose est sûre, sans ce plan, Pompéi courrait à une deuxième catastrophe.
Le maire de Pompéi, Ferdinando Uliano, a menacé de s’enchaîner, revêtu de son écharpe tricolore, à l’entrée du site archéologique en signe de protestation, si le gouvernement ne retirait pas son projet ferroviaire. Ce projet prévoit la création d’une plate-forme de correspondance de chemin de fer qui permettrait aux touristes de rejoindre la gare de Pompéi Scavi, via les trains à grande vitesse à partir des villes italiennes les plus importantes. Mais le maire craint que ce hub ne fasse qu’éloigner encore plus les touristes de la ville moderne de Pompéi, en les incitant à ne visiter que le site archéologique pour repartir tout de suite après. Il soutient que déjà aujourd’hui le tourisme n’apporte rien aux caisses (vides, semble-t-il) de la mairie, qu’il ne crée pas d’emploi et qu’au contraire le contribuable local paye l’entretien de la voirie pour le compte des touristes. Il demande que pour chaque billet d’accès au site archéologique un euro soit reversé à la ville. Il semble un peu curieux qu’une ville comme Pompéi, où se trouve aussi l’un des sanctuaires les plus importants d’Italie, celui de Notre-Dame-du-Rosaire, n’arrive pas à trouver les ressources pour attirer et accueillir les touristes (l’ensemble des structures hôtelières de Pompéi peut héberger juste 1 500 personnes). S’ajoute aussi, tout autour du site archéologique, le problème de la prostitution.
E. M.
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Pompéi obtient un sursis grâce à un vaste plan en cours
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Abonnez-vous dès 1 €La Via Stabiana, à Pompéi. © Photo : B. Werner.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : Pompéi obtient un sursis grâce à un vaste plan en cours