« L’idée est de produire un rapport annuel comme Amnesty International », explique Michael Petzet, le président de l’Icomos. Véritable catalogue des menaces, le rapport Patrimoine en péril, élaboré grâce aux contributions de comités nationaux, accumule les motifs d’inquiétude, avec « des situations souvent désespérées ».
PARIS - Catastrophes naturelles, guerres, urbanisation incontrôlée, spéculation, négligence, pillage, tourisme... les causes de détérioration du patrimoine culturel sont connues, et des cas aussi dramatiques que l’Afghanistan, l’ex-Yougoslavie ou la Chine ont déjà été évoqués dans le JdA. Mais ce rapport publié sous l’égide du Conseil international des monuments et des sites (Icomos), organe consultatif de l’Unesco, élargit l’examen au monde entier, même si manquent pour l’instant des pays comme la Grèce, l’Iran, l’Irak, le Pérou, les républiques de l’ex-URSS et une grande partie de l’Afrique. “Organiser des campagnes de communication est nécessaire aujourd’hui, note Michael Petzet, et nous sommes la seule organisation qui peut tenter de produire un rapport comme celui-là.”
Au-delà des cas particuliers, il permet de dessiner les tendances globales affectant le patrimoine : destruction accélérée et amplifiée, désengagement de l’État, primauté des intérêts privés sur les valeurs collectives, insuffisance des ressources humaines, financières et professionnelles, standardisation et uniformisation de la culture, de l’industrie du bâti, accroissement de la population et de la pauvreté. Quant aux patrimoines les plus menacés, ils couvrent tout le spectre typologique, des édifices religieux à l’architecture moderne, des palais et châteaux aux ensembles urbains, des paysages aux sites archéologiques, sans oublier les constructions vernaculaires et industrielles. “Dans beaucoup de pays, il n’y a rien, ni service des monuments historiques, ni lois de protection”, déplore le président de l’Icomos. Et l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ne suffit pas à conjurer le péril, même dans les pays les plus développés. Le cas de Pompéi en est la parfaite illustration. Il souligne aussi les dangers d’un tourisme de masse, dont l’existence semble avoir été, dans certains pays, l’unique facteur de protection. D’autre part, cette industrie, “premier secteur économique à l’échelle planétaire”, “exploite le patrimoine culturel, par une utilisation abusive parfois ruineuse (citons par exemple certains des tombeaux égyptiens), mais n’apporte en retour aucune contribution financière notable à la protection et à la conservation”, lit-on en introduction du rapport.
Parmi les autres enseignements ressortant de l’ensemble des contributions, il apparaît que, si les guerres sont éminemment destructrices comme en Afghanistan, la reconstruction qui s’ensuit n’en est pas moins exempte de dangers (Bosnie, Kosovo, Liban...). Par ailleurs, cette publication favorise “un discours différent de celui qui est tenu dans les conférences internationales”, note Michael Petzet. Ainsi, le comité argentin n’hésite pas à considérer que la situation de son patrimoine est “la pire en Amérique latine”, ce qu’aucun gouvernement ne se résoudrait à reconnaître. Ceux qui ont contribué au rapport, plutôt qu’une vision globale de la situation locale, difficile à mettre en œuvre dans de brefs délais, ont choisi de développer un certain nombre de cas d’espèces, aussi bien pour dénoncer l’incurie que pour saluer les réussites. Parfois, “nous avons fait des trouvailles avec un patrimoine complètement inconnu, comme les bateaux habités des Mohanas au Pakistan”. Préférant une analyse générale, le comité français, composé de professionnels (conservateurs, architectes en chef...), d’associations et d’entreprises spécialisées, reconnaît que “l’ensemble du patrimoine de la France est en moyenne dans un état de conservation passable”, mais appelle “à une action encore plus énergique et efficace de la collectivité publique en faveur de sa conservation” avec des moyens financiers et techniques accrus. D’autre part, il avance une proposition intéressante : créer un statut d’exception culturelle pour les monuments historiques, dérogatoire aux normes courantes du bâtiment neuf. Cela permettrait de conjurer la normalisation imposée par les règles inadaptées en vigueur en matière de sécurité du public ou d’habitabilité, qui dénature sournoisement le patrimoine ancien.
- Rapport disponible sur www.Icomos.org ou au 49-51 rue de la Fédération, 75015 Paris (tél. 01 45 67 67 70, e-mail secretariat@Icomos.org).
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Patrimoine, alerte mondiale
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°117 du 15 décembre 2000, avec le titre suivant : Patrimoine, alerte mondiale