MARSEILLE
Dans un rapport, la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur passe au crible la gestion des musées de la Ville de Marseille. Chiffres erronés, déficits importants, faibles fréquentations, laxisme dans la gestion du personnel…, le constat est féroce.
Marseille. Quiconque s’est un jour aventuré dans l’un des onze musées municipaux de Marseille (hors le Mucem qui est un musée national) en est ressorti avec un sentiment pour le moins mitigé. On ne sera donc pas étonné de la sévérité de la chambre régionale des comptes (CRC) Paca, qui s’est penchée sur leur gestion entre 2012 et 2020. Soit la période au cours de laquelle les musées de Marseille ont été dirigés par Christine Poullain (2011-2016) et à partir de février 2017 par Xavier Rey, qui a rejoint en octobre 2021 le Centre Pompidou. Les musées de Marseille semblent être un vivier pour le Musée national d’art moderne, puisque Bernard Blistène, le prédécesseur de Xavier Rey au Mnam, a également dirigé les musées de Marseille de 1990 à 1996.
La surprise à la lecture du rapport vient plutôt du ton relativement modéré des commentaires comparativement à celui de la chambre nationale, qui, en général, n’est pas avare de remontrances pour des griefs bien moindres et moins nombreux. Un peu moins à l’aise quant à la dimension scientifique muséale que leurs collègues de la rue Cambon, les magistrats de la CRC s’en tiennent surtout aux chiffres. Mais cela suffit tant ils sont accablants. À commencer par leur fiabilité que la CRC questionne tout au long du rapport, de la fréquentation à la comptabilité. Parfois elle relève, comme c’est le cas pour les expositions coproduites avec la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP), que les informations financières communiquées au conseil municipal sont erronées. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la CRC pointe l’imprécision des chiffres, elle avait déjà relevé ce flou dans un précédent rapport en 2009.
La CRC oublie certains « événements » peu reluisants tel le vol en 2009 d’un pastel de Degas, prêté par le Musée d’Orsay au Musée Cantini (et retrouvé « par hasard » en 2018 dans la soute d’un bus en Seine-et-Marne), ou passe rapidement sur la condamnation en 2014 d’agents d’accueil qui avaient organisé un système de double billetterie dans le même Musée Cantini. À ces réserves près, elle passe méticuleusement en revue tous les postes budgétaires, et bien peu suscitent des commentaires positifs.
L’indicateur le plus déterminant est la fréquentation, que la chambre qualifie avec indulgence de « faible » alors qu’elle est franchement médiocre. À peine 368 000 visiteurs sont venus en 2019, dont 98 000 étaient des entrées payantes. Le score est bien mince pour une ville de 870 000 habitants qui attire 5 millions de touristes. Le Musée Cantini, d’art moderne accueille le même nombre de visiteurs que le Musée de Céret (Pyrénées-Orientales) et ses 7 700 habitants. À lui seul, le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) attire plus de visiteurs que les onze musées municipaux. Inutile de demander des statistiques sur l’origine géographique des visiteurs – ce qui serait une aide pour identifier les publics cibles à conquérir –, il n’y en a pas, alors que le logiciel de billetterie permet de saisir la résidence des visiteurs. Il est à espérer que ces derniers comprennent le français, car les panneaux de salles ne sont pas traduits, pas même en anglais. Ne pas compter non plus sur l’audioguide, il n’y en a tout simplement pas. Il y a pourtant une demande, notamment du côté des scolaires, mais les musées ne peuvent honorer toutes les sollicitations par manque de médiateurs.
Les expositions sont, elles, nombreuses, reconnaissent les magistrats qui hésitent à se lancer dans une analyse qualitative et font simplement le constat d’une sous-fréquentation. Une des conséquences de cette faible affluence est la mévente des catalogues d’exposition avec des invendus qui atteignent parfois 90 %. Résultat : des pertes sèches et dans le même temps des stocks obsolètes qui ne cessent d’augmenter (100 000 exemplaires), et donc de coûter en frais de stockage.
Les magistrats font un sort particulier aux expositions coproduites avec la RMN-GP, « coproduites » étant un bien grand mot puisqu’elles sont entièrement montées par l’établissement public. Leur fréquentation est à peine meilleure que pour celles produites par les musées et elles sont très mal budgétées. Les recettes de « Man Ray et la mode » (2020) n’ont ainsi atteint que 118 000 euros sur les 404 000 prévus. La RMN-GP ne prend aucun risque financier, s’agacent les magistrats, faisant tout supporter à la Ville ; ils se demandent même pourquoi la municipalité n’a pas réalisé d’appel d’offres pour la production des expositions tout en déplorant que « la RMN-GP et la Ville [aient] pu chacune certifier des bilans aussi manifestement erronés ».
Cette faible fréquentation pèse sur l’équilibre financier des musées de Marseille dont le coût de fonctionnement est de l’ordre de 30 millions d’euros par an, se traduisant quasiment par autant de pertes en raison des faibles recettes des expositions et de l’absence totale de mécénat. Et encore, tous les coûts ne sont pas pris en compte. Une seule bonne nouvelle, si l’on peut dire : les recettes pour l’accès aux collections permanentes sont tellement faibles (100 000 €) que la gratuité, décidée par le maire Benoît Payan lors de la réouverture des lieux culturels après le premier confinement en 2020, a été reconduite « sans étude ni stratégie ». Autant dire qu’il n’existe aucune étude d’impact des musées sur l’activité économique de la ville, alors que Marseille a été Capitale européenne de la culture en 2013. Ce label a été un formidable catalyseur pour les musées marseillais qui ont presque tous été rénovés pour un coût de 80 millions d’euros.
La chambre est particulièrement critique sur la gestion du personnel, un grief déjà ancien. Le rapport de 2019 concluait, dans le domaine des ressources humaines, à des effectifs apparaissant comme pléthoriques et largement sous-qualifiés avec une très grande majorité de personnes en situation de repositionnement professionnel. « Douze ans après, ces constats sont toujours largement d’actualité […] »,écrivent les magistrats. Par « repositionnement professionnel », il faut entendre que ces personnes, qui ne peuvent plus être employées dans d’autres services municipaux pour diverses raisons (incapacité physique, problèmes de comportement..), sont affectées dans les musées, ce qui en dit long sur la considération pour ces institutions. Une situation qui n’est cependant pas propre à Marseille, elle se retrouve dans de nombreuses villes, à Paris en particulier.
Une conséquence directe de la situation de ce personnel fragile est un très fort taux d’absentéisme : plus de 13 %. Selon la chambre, sur une année cet absentéisme représente 81 personnes en équivalent temps plein sur un effectif de 440 agents. Elle note qu’il n’y a parfois personne aux caisses. Elle relève que « l’administration est au service des agents davantage que des publics», l’expliquant par une « gestion des effectifs des musées [qui] s’inscrit dans un rapport de force quasi permanent avec la collectivité qui cède le plus souvent. […] Les cycles de travail ont ainsi été aménagés pour maintenir la paix sociale ». L’un des effets de cet absentéisme est la fermeture inopinée de salles, bien qu’il n’y ait pas de statistiques sur le sujet (encore !).
L’appréciation de la chambre sur le volet scientifique, plus lapidaire, n’est guère plus élogieuse. Il n’y a quasiment pas de projet scientifique et culturel (PSC), celui du Musée des beaux-arts date de 2001. La Ville a bien annoncé en 2019 la rédaction d’un PSC transversal, mais rien ne vient. Il est vrai que son schéma directeur des musées annoncé en 2010 n’a jamais été réalisé. De même, les directeurs successifs du service des musées marseillais n’ont pas de lettre de mission.
Dépassée par l’ampleur de la tâche à accomplir et voulant se limiter à ses seules prérogatives comptables, la chambre formule quelques recommandations techniques et générales. La route est encore longue pour Nicolas Misery, le successeur depuis mai de Xavier Rey, dont il fut l’adjoint à la direction des musées de Marseille. Sa double formation de conservateur et de gestionnaire ne sera pas du luxe.
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La chambre régionale des comptes étrille les musées de Marseille
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°597 du 21 octobre 2022, avec le titre suivant : Musées de Marseille, la chambre régionale des comptes étrille la gestion municipale