MARSEILLE
Le patrimoine industriel de cette friche nichée dans le parc national des Calanques a été acquis il y a dix ans par une galerie parisienne. Celle-ci mène un travail de restauration de l’ancienne usine métallurgique en valorisant l’emprise du végétal sur le bâti tout en y insérant des œuvres d’art.
Marseille. Paradis naturel, le parc national des Calanques (Bouches-du-Rhône) était encore un territoire industriel au début du XXe siècle. Loin de l’image touristique des criques sauvages, le littoral du Sud marseillais était jalonné d’usines de soufre, soude, verre et de carrières de calcaire. Parmi les industries les plus polluantes implantées sur ce littoral accidenté mais facilement accessible par la mer, trois usines de plomb entouraient l’anse des Goudes, aujourd’hui porte d’entrée du parc national. L’une d’elle est devenue un parc de sculpture et d’architecture, aux contours encore flous malgré six années d’ouverture au public. « Work in progress », répète-t-on à la Friche de l’Escalette : le site est vaste, couvrant trois hectares parsemés de vestiges industriels colonisés par une nature revancharde. Il y a quelques années, c’était encore une décharge publique.
C’est un galeriste qui a pris à bras-le-corps le nettoyage et la réhabilitation de ce site. Éric Touchaleaume, fondateur de la Galerie 54 à Paris (spécialisée dans le design et l’architecture moderniste), acquiert en 2011 ce souvenir d’enfance : un ami lui a fait découvrir l’usine désaffectée depuis 1925, dont il faut alors escalader les grilles pour y accéder. En 2020, les derniers occupants clandestins des lieux quittent les lieux. « Ce n’est pas un joujou pour milliardaire», prévient son fils Elliot, qui veille sur cette « annexe de la galerie » avec vue sur la mer. Si l’on retrouve quelques marqueurs du parc statuaire provençal, comme les sculptures en acier Corten (ici signées Pierre Tual), le lieu cultive une triple ambition : l’activité artistique, la valorisation du patrimoine industriel et la préservation du patrimoine naturel.
L’usine de l’Escalette est le témoin le plus visible, et accessible, de l’activité industrielle des Calanques. Ses vestiges permettent aujourd’hui encore de retracer toutes les étapes de la production du plomb, des immenses fosses de stockage du minerai à la cheminée rampante, cette singularité des usines marseillaises permettant d’évacuer les fumées au-delà du vallon encaissé. L’édification de ces lourdes infrastructures industrielles a été remarquablement adaptée à la topographie très contrainte de la calanque, suivant son dénivelé en s’étageant par paliers et en épousant l’arrondi du vallon en demi-cercle. « Cela floute nos repères en termes d’architecture, on a presque l’impression d’un amphithéâtre grec… », glisse notre guide du jour.
Le long de la promenade balisée, qui emprunte le chemin du minerai, les visiteurs remarquent des débris de verre au pied d’une forêt de piliers. « Lorsque nous l’avons investie, la friche était littéralement une décharge publique, un dépotoir que l’on a nettoyé. C’est le premier service que nous avons rendu à la nature et au site », raconte Elliot Touchaleaume. Après sa fermeture en 1925, l’usine se transforme peu à peu en cimetière d’épaves, de voitures puis de bateaux, se mue en terrain de jeu pour un cascadeur local comme pour les ferrailleurs et squatteurs. C’est toute cette histoire que les propriétaires souhaitent faire vivre, en recueillant les témoignages des derniers habitants de la calanque.
Mais le témoignage le plus éloquent reste celui des vestiges, qui font l’objet d’une valorisation. Il n’y a certes pas de prescription patrimoniale sur l’ancienne usine, « mais nous nous imposons les contraintes nous-mêmes », fait savoir le gardien des lieux. Dans l’esprit d’une restauration patrimoniale, le chantier a pour objectif d’éliminer quelques verrues, dont le restaurant des années 1980 qui altère la perception de l’entrée du bâtiment. La charte de restauration à laquelle se soumettent les exploitants du site prône une intervention minimale, pour donner à voir les différentes vies de l’usine : sur les hauts murs qui en bordent l’entrée, un ravaudage des enduits suffira pour rendre sa stabilité à l’élévation. Mais il n’est pas question de restitution, pas plus que d’extension moderne.
En cela, la création du parc national des Calanques en 2012, un an après la signature du compromis de vente, a déterminé l’orientation du projet : « On fantasmait de grands gestes architecturaux sur le site, confie Elliot Touchaleaume, puis petit à petit on a dû revoir nos ambitions à la baisse pour aboutir au projet actuel : pérenniser le lieu, et amener de l’art là où il y avait de la pollution. » Un projet de restauration et valorisation du patrimoine presque classique, s’il ne prenait en compte la végétation. Dans la partie basse du site, les exploitants prévoient quelques interventions légères, comme couvrir les ateliers qui font office aujourd’hui de salle d’exposition à ciel ouvert. Mais dans la partie haute, les instigateurs du projet assument de livrer les vestiges à la végétation, partie intégrante du patrimoine à préserver dans les Calanques. « L’idée que la nature digère le bâti nous plaît beaucoup. On s’adapte en recherchant une symbiose entre les vestiges et la végétation », explique Elliot Touchaleaume.
Pas de partenaires publics, pas davantage de mécènes pour soutenir cette restauration minimale mais ambitieuse. Pragmatique, la galerie assume de faire du site un showroom de plein air pour soutenir sa remise en état. Et si une collection permanente attachée aux lieux se forme peu à peu, d’autres œuvres présentées sur la friche sont à vendre. Comme les cabanons de Jean Prouvé – le cœur de métier de la galerie – plantés à l’entrée de l’usine cet été. Le Pavillon 6 x 9, conçu au sortir de la Seconde Guerre mondiale comme hébergement d’urgence, gagnera bientôt le jardin d’un collectionneur francilien.
Ce n’est pas la billetterie qui permettra de financer ces travaux : la jauge est limitée dans le parc des Calanques et les galeristes souhaitent préserver cet aspect confidentiel : 3 000 personnes en moyenne visitent l’Escalette pendant la saison. Chambres d’hôtes insolites, librairie, restaurant et une « vraie galerie d’art » sont les pistes étudiées pour faire de cette ancienne décharge un lieu rentable. Mais pas de calendrier pour tous ces projets : dans leur calanque marseillaise, les galeristes parisiens suivent le rythme de la nature.
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La Friche de l’Escalette revient de loin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°597 du 21 octobre 2022, avec le titre suivant : La Friche de l’Escalette revient de loin